Lors de l’assemblée générale du comité France-Cuba Lille Métropole, ce dimanche 23 mars à Villeneuve-d’Ascq, il a dressé aux membres de l’association la situation de l’île.
Pouvez-vous brosser un tableau général de la situation à Cuba ?
Ernesto González de la Torre : J’entends certains dire que Cuba vit une deuxième période spéciale [comme celle des années 90 après l’effondrement de l’URSS – ndlr]. La crise économique est très sérieuse. Les conséquences du covid sont lourdes. Le tourisme, qui est notre principale ressource économique, a plongé. Ce secteur a beaucoup de mal à retrouver le niveau d’avant covid. Par ailleurs, nous sommes confrontés à la hausse des prix du carburant, mais aussi à sa pénurie. Nous avons des besoins en matière alimentaire, il y a une pénurie des produits importés et une pénurie de médicaments. Et nous connaissons des problèmes sur le plan de l’énergie électrique. L’inflation est importante, les salaires sont dévalorisés. C’est la conséquence du blocus américain et des autres mesures coercitives imposées par les États-Unis
Cuba vient de subir une très importante panne d’électricité. C’est la quatrième depuis six mois.
E.G. : Tout à fait. Il y a eu 3 pannes en 2024 et la quatrième vient d’arriver, privant de courant la majorité de la population. Cela est dû à une défaillance de la plus grande centrale électrique. Les pièces proviennent de la compagnie française Alstom. Or, nous n’avons pas les financements nécessaires pour assurer la maintenance de la centrale. Durant la période covid, il nous a fallu faire des choix. Nous avons porté notre priorité sur la santé.
Le retour de Donald Trump à la présidence des USA complique encore les choses ?
E.G. : Lors du premier mandat de Donald Trump, nous avons eu affaire au durcissement de l’embargo états-unien. Les mesures coercitives d’alors ont énormément contribué à aggraver la situation. Son successeur, Joe Biden, n’a rien fait contre l’embargo. Certes, avant de quitter la présidence, il a retiré Cuba de la liste des pays soutenant le terrorisme. Mais il n’a jamais fait que ce qu’il aurait dû faire dès le début de son mandat. Le gouvernement cubain ne s’y est pas trompé quand il a déclaré que ce retrait de la liste ne durerait pas. Effectivement, aussitôt de retour à la Maison-Blanche, Donald Trump nous y a réinscrit ! Le répit aura duré 6 jours !
Quelles sont les conséquences d’être sur cette liste ?
E.G. : Cela va bien plus loin qu’une mesure symbolique. Les effets sur notre économie sont très concrets. Cela nous entrave dans nos relations commerciales internationales. Les investisseurs et les institutions bancaires étrangères reculent. Mais il faut remarquer que le fait de nous retirer de la liste puis de nous y remettre montre que cette mesure est tout à fait illégitime. Elle n’a pas d’autre sens que politique.
Et à cela s’ajoute l’embargo.
E.G. : Et là aussi les conséquences sont énormes, d’autant qu’il a une dimension extra-territoriale qui permet aux États-Unis de sanctionner les pays tiers qui ne le respectent pas. Le blocus entrave les investissements étrangers. Un pétrolier qui touche un port cubain est interdit de toucher un port des USA pendant des mois avec les conséquences que l’on imagine pour les armateurs. Le durcissement de l’embargo ne nous a pas permis de poursuivre notre politique de subvention des carburants, ce qui a fait augmenter les prix [Durant le premier semestre 2024, le prix du litre d’essence ordinaire est passé de 25 à 132 pesos, soit une augmentation de plus de 400 %). Ce n’est évidemment pas facile pour le peuple cubain. Mais les carburants sont aussi indispensables pour l’économie, pour faire tourner les centrales électriques, pour les transports, pour la santé, pour la production agricole.
Quelles sont les autres mesures coercitives des États-Unis à l’encontre de Cuba ?
E.G. : Il y a par exemple la liste noire des entreprises cubaines (des entreprises particulièrement visées par les États-Unis en raison de leur proximité avec le secteur militaire) qui interdit toute relation avec eux. Les entreprises américaines qui s’y risquent sont passibles de condamnations devant un tribunal. Et puis, l’administration Trump vient de reprendre sa campagne, initiée lors de son premier mandat, contre les médecins cubains qui vont exercer à l’étranger dans le cadre de la solidarité internationale. Le but, sous des prétextes d’exploitation, est de porter atteinte à cette solidarité internationale. Mais cette solidarité cubaine n’est pas dirigée que vers les pays caribéens ou les pays du sud. La France aussi a recours à nos médecins pour ses déserts médicaux. Enfin, nous n’oublions pas que l’administration Trump a nommé un secrétaire d’État d’origine cubaine, c’est la première fois. Marco Rubio n’est pas né à Cuba et n’y est jamais allé, ses parents ont quitté le pays en 1956. Mais son obsession est de faire tomber Cuba. Même si ce n’est pas actuellement sa priorité, il nous faut nous attendre à toujours plus de mesures coercitives.
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L’entrée de Cuba comme membre associé des BRICS va-t-elle favoriser encore plus les relations avec la Chine ?
E.G : Fort probablement. Nos relations avec la Chine sont de toute façon très bonnes tant sur le plan politique qu’économique. On peut aussi parler des pays arabes et des pays sud-américains (nous soutenons le Venezuela). La Chine est par exemple partenaire pour la construction de notre parc photovoltaïque. C’est une alternative aux centrales électriques. Nous envisageons de faire évoluer la part du photovoltaïque de 5 % à 30 % d’ici à quelques années.
Qu’attend Cuba de notre part ?
E.G. : La solidarité, comme celle qu’apportent les comités France-Cuba, est primordiale. Récemment, le Conseil de Paris a approuvé à l’unanimité un vœu proposé par le groupe Communistes et citoyens demandant le retrait de Cuba de la liste des pays terroristes ou soutenant le terrorisme. Si ce type d’initiative peut se multiplier, ce serait appréciable. Il faut retrouver la dynamique des actions publiques pour Cuba. La solidarité exprimée par l’envoi de conteneurs, comme l’a fait le comité Lille Métropole et comme y travaillent les fédérations du PCF dans le Nord et le Pas-de-Calais sont très importantes. Les valises solidaires (par exemple emplies de médicaments) apportées à titre individuel sont également une bonne idée. Mais, au-delà, je pense qu’il faut réfléchir à des projets de coopération économique, des projets de développement local que l’on pourrait développer à Cuba pour les années à venir.
Quel est l’état d’esprit du peuple cubain, actuellement ?
E.G : Le peuple cubain souffre pour toutes les raisons que je viens d’évoquer. Mais il demeure attaché à la révolution. On l’a vu le 21 décembre dernier, à La Havane, où 500 000 Cubains ont manifesté leur soutien à la révolution et ont demandé le retrait du blocus et le retrait du pays de la liste des pays terroristes. Cette année, nous fêterons le 1er mai sur la place de la Révolution, à la Havane. Nous lançons aussi une campagne pour le centenaire de la naissance de Fidel Castro. Le peuple y est également très attaché.