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Entretien avec Dominique Pagani

Clouscard ou l’anticipation du néo-fascisme

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Mise à jour le 8 août 2025
Temps de lecture : 4 minutes

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PCF Entretien À lire

Nous avons rencontré Dominique Pagani, philosophe marxiste et musicologue, pour évoquer Michel Clouscard, éminent penseur, compagnon de route du PCF, né dans le Tarn et dont les travaux prennent une dimension exceptionnelle aujourd’hui.

Dominique Pagani fut l’un de ses plus proches amis et collaborateurs. Il revient pour Liberté Actus sur une œuvre, qui pose les jalons d’une critique radicale du capitalisme « de la séduction » et de l’émergence d’un néo-fascisme porté, non par les droites classiques, mais par les recompositions idéologiques post-68.

Vous avez été très proche de Michel Clouscard, dont les œuvres suscitent un engouement certain depuis quelques années chez la jeune génération. Comment l’avez-vous rencontré ?

Dominique Pagani : Michel Clouscard, effectivement, était un ami très proche que j’ai connu alors que j’étais étudiant à Paris. Je m’en souviens comme si c’était hier : c’était en 1967, dans un café-tabac du Quartier latin, le Old Navy, où se retrouvaient les profs et les étudiants. Bravant ma timidité, je me suis mêlé à une conversation à laquelle il participait. C’est comme cela que j’ai connu Clouscard. Ce fut le début d’une longue et indéfectible amitié, jusqu’à sa mort à Gaillac en 2009.

Son œuvre est considérable. Pouvez-vous nous en présenter quelques traits marquants ?

D.P. : Clouscard n’analyse pas seulement la production, mais aussi la consommation. Il décèle, dans la réalité du capitalisme en mouvement — celle des années du Plan Marshall —, des transformations de grande ampleur. C’est une opération de séduction que va entreprendre la classe capitaliste en direction des nouvelles couches moyennes, afin de les détacher de la classe ouvrière et des salariés les plus exploités.

Il s’appuie sur cette réalité fondamentale du capitalisme : d’un côté, il y a ceux qui produisent plus qu’ils ne consomment, et de l’autre, ceux qui consomment plus qu’ils ne produisent. Pour Clouscard, il n’y a pas de société de consommation — qui serait, en fait, le vrai communisme réalisé. Il y a, au contraire, un processus qui s’oppose aux besoins populaires profonds, en faisant miroiter une chimérique possibilité de consommer réellement.

Le salariat n’est destiné qu’à consommer le minimum d’équipement nécessaire pour retourner chaque jour à la production. Pour Clouscard, posséder une voiture pour aller au travail n’enlève rien à l’exploitation. Au contraire : la misère peut « rouler » chaque jour en voiture. Cela, d’ailleurs, est d’autant plus actuel avec l’explosion des prix du carburant et la nécessité, pour des millions de gens, de se déplacer.

Mais sur le plan politique, comment Michel Clouscard interprétait-il ces transformations ?

D.P. : Il perçoit dans ces mutations la montée d’un néo-fascisme qui ne vient pas de la droite classique, mais d’un courant émanant de l’atlantisme et de l’européisme atlantiste, soutenu par la social-démocratie et repris par le gauchisme — représenté par exemple par Cohn-Bendit. Clouscard qualifiera ce courant de « libéralisme-libertaire ».

Il s’agissait, pour les forces du grand capital, de s’attaquer à l’obstacle des forces issues de la Résistance : le gaullisme dans sa dimension patriotique, et le communisme pour sa raison également nationale, mais surtout sociale — en tant qu’agent actif et organisé de la lutte des classes. Clouscard avait décelé la nouvelle stratégie du capital : un néo-fascisme dont l’objectif était de briser le PCF, qui représentait alors une force politique influente.

Michel Clouscard a-t-il été entendu à l’époque au sein du PCF ?

D.P. : Malgré le succès de l’une de ses œuvres — Le capitalisme de la séduction, paru aux Éditions sociales — auprès de milliers de militants communistes, la direction du Parti, alors engagée dans la voie de l’eurocommunisme et des alliances électorales avec la social-démocratie, ignorera l’importance de ses thèses.

Son apport aurait pourtant pu être très certainement positif dans une critique de la social-démocratie libertaire, et dans une reconquête des couches moyennes sur des bases de classe et non sur une séduction opportuniste. Peut-être qu’aujourd’hui, le PCF et le monde du travail payent chèrement le prix d’une stratégie qui, à l’époque, a négligé — entre autres — l’apport de Clouscard.

La rencontre actuelle de son œuvre avec les militants communistes, je l’espère, devrait alimenter leurs réflexions pour les combats à venir.

Propos recueillis par Jean-Paul Legrand
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