Dépasse tes colères ! Et cesse de me traiter de vieux fou !
Dis qu’as-tu fait ce dimanche, toi que l’on méprise depuis des lustres,
Dis qu’as-tu fait de la mémoire d’tin nord, de tes ancêtres mineurs ou ouvrières textiles, et fiers (fières) d’en être !
Dis qu’as-tu fait ?
Tu me dis que tu en as marre qu’on te méprise, qu’on méprise les tiens et qu’il est temps que ceux-là succombent !
Tu me dis qu’il faut que l’on t’entende et tu veux la Justice ! Et qu’il faut que ça change !
Mais dis qu’as-tu fait ?
Sinon te jeter dans la gueule du loup ! Tu veux l’essayer me dis-tu ?
Tes ancêtres ne l’ont pas essayé, eux, ils l’ont subi, comme tu le subiras, ce loup sournois tantôt de couleur brune, aujourd’hui de couleur bleu marine ! Ils te livreront pieds et poings liés, bouche cousue, aux ogres du grand capital, ses amis de toujours !
Et toi, meurtri par tant d’humiliations, voilà que tu t’offres à lui sans même douter un seul instant de ses promesses mortifères.
Dis qu’as-tu fait ? Dis, qu’as-tu fait de ton histoire, de celle des tiens !
Mais il est encore temps ! Ouvre les yeux ! Ouvre les yeux !
Rappelle-toi ton grand-père fusillé dans les fossés de la Citadelle d’Arras, pour que tu vives libre !
Rappelle-toi ton grand-père laissant ses poumons au fond pour que tu vives heureux !
Rappelle-toi les petits matins blêmes quand ta mère te posait chez la sienne et partait s’épuiser à joindre les deux bouts pour les Boussac and Co, sans même avoir l’autorisation d’aller pisser pour que tu puisses manger à ta faim !
Rappelle-toi toutes ces conquêtes dont tu jouis aujourd’hui !
Aurais-tu oublié le prix des sacrifices de tes ancêtres pour les obtenir, les grèves, le pain sec au dîner ? Jamais au grand jamais ceux qui te courtisent n’ont été de leur côté !
Ouvre les yeux ! Mais ouvre donc les yeux ! La bête immonde est là qui te minaude ! Mais son histoire à elle, la sais-tu vraiment ?
La guerre, les guerres coloniales, c’est elle ! Elle t’a même empoisonnée de son racisme originel au point que tu en veux à toute la terre d’Afrique !
Son histoire ce n’est pas Manouchian ! Son histoire, c’est Pétain !
Elle te dit aimer la France ! Mais ses ancêtres l’ont livrée aux nazis ! Et elle s’apprête à la vendre à son tour à tous les régimes liberticides de l’Europe et des impérialismes !
Ouvre les yeux ! Il est grand temps si tu veux voir tes enfants grandir et étudier dans un monde de paix et de fraternité !
Et toi, ô femme ! Sais-tu bien ce qui t’attend ! Défie-toi des cajoleurs et cajoleuses !
Il se pourrait bien qu’ils te privent de pilule et te renvoient à tes foyers pour faire baisser le chômage et renforcer la natalité !
Écoute-moi un instant ! Juste un instant ! Tu es au fond aussi brave que moi ! Accepte de douter, rien qu’un instant !
Et pense à tes ancêtres ! Ne leur fais pas ça une nouvelle fois ! Prends soin de leur legs !
Mon père, ancien mineur, me le disait « T’es blanc, t’es gris, t’es noir ! qu’importe ta couleur ! Au fond et quand t’armontes in est tertous noirs ! Et de la même mère ! »
Dépasse tes colères ! Et cesse de me traiter de vieux fou !
Instituteur de la République de l’an I