Dimanche soir, c’est la stupeur et la rage qui nous ont étreint les entrailles. Pour faire oublier sa rouste électorale du 9 juin, Macron, dont la liste a fait moins de la moitié que celle du RN, a décidé de dissoudre l’Assemblée et de convoquer des élections législatives le 30 juin et le 7 juillet. C’est-à-dire dans à peine trois semaines, et alors que l’extrême droite atteint un niveau paroxystique.
Macron a surpris tout le monde, y compris son propre entourage et les médias mainstream. Il a pris tout le monde par surprise. Mais au prix d’une irresponsabilité sans limites. Car cette décision correspond à sa vision mégalomane de celui qui prend des risques, qui sort de sa zone de confort au nom de ses combats. Sauf que comme il l’a dit à ses ministres, il est « le seul à ne rien risquer » en référence à la protection de sa fonction par la Constitution. Autrement dit, c’est à la démocratie qu’il fait prendre des risques. Dans le film le Septième Sceau de Bergman, le chevalier Antonius Bloch joue aux échecs chaque matin avec la Mort. Macron, lui, ce serait le genre à envoyer son valet de pied risquer sa peau dans la partie.
Car enfin, après avoir joué en 2017 et en 2022 le coup du rempart contre le RN, il n’a cessé de le faire pousser comme une mauvaise herbe, avec des lois scélérates contre les pauvres (trois réformes contre les droits des chômeurs, deux réformes iniques contre les retraites en 2019 puis en 2023), des lois sécuritaires contre les migrants, dont la dernière « Asile et Immigration » reprenait le thème frontiste de la « préférence nationale ». Après les législatives de 2022, le pouvoir macroniste a déroulé le tapis rouge au RN, en nommant ses députés aux postes honorifiques de l’Assemblée. Tout ceci a largement amplifié et accéléré la banalisation et la normalisation de l’extrême droite.
Et tout à coup, après avoir seriné le contraire des mois durant, tel un bateleur de foire, Macron dissout et offre une « entrecôte frites » au parti de Le Pen, qui pour la première fois de son histoire pourrait diriger le pays.
Ce calcul de Macron est cynique au possible. Il rêve de sauver sa peau, en misant sur la fragmentation de la gauche, sur l’agonie de LR incitant une partie de ses membres à le rejoindre, et enfin sur les derniers lambeaux du front républicain. Mais ce pari est très risqué. Il consiste à mettre sur la tempe de la République un revolver avec cinq balles dans le barillet. Car on entre avec cette nouvelle donne dans une terre inconnue, on fait un saut dans le noir.
L’heure est à la mobilisation générale, populaire et progressiste. Face au péril de l’extrême droite, nous sommes, comme nos anciens, pris de stupeur au lendemain du 6 février 1934. Il faut recréer les conditions d’un « Front populaire du 21ᵉ siècle » et rassembler et unir les forces de gauche. Le gouffre est à nos pieds et les blés sont sous la grêle. Dès lors « fou qui fait le délicat », comme le prophétisait Louis Aragon.
En trois semaines, on ne réglera pas des désaccords de fond. Mais il faut, en urgence, parer à la menace plus grave. Bloquons le RN et on verra après. Construisons ensemble, partis progressistes, syndicats et associations, un mois de juin d’espérance démocratique et citoyenne. Multiplions les initiatives pour que les millions d’abstentionnistes aillent voter. En Europe, même si l’extrême droite progresse et obtient 25 % des sièges au Parlement, il y a des pays où elle marque le pas, voire recule. Aux Pays-Bas, en Scandinavie ou en Hongrie, les populistes et les xénophobes voient leur stratégie s’enrayer, à divers degrés.
En France, pays où la peste brune se répand le plus vite, avec la complicité du Méprisant de la République, les choses sont très compliquées. Mais pas totalement désespérées. Il est minuit moins cinq. Au boulot camarades.