Celles et ceux qui, après avoir vénéré l’Union soviétique, vouent la Russie aux gémonies, ou celles et ceux qui ignorant tout du pays, de son histoire, de ses sacrifices et de ses aspirations, suivent docilement des médias gorgés de haine dans la caricature qu’ils font d’un peuple et de ses dirigeants, pourraient, pourvu qu’ils soient sincères, se désintoxiquer.
Le 9 mai, à Moscou, ne se résume pas à une parade militaire.
C’est pour toutes et tous, indissolublement, un jour du souvenir – 27 millions de morts civiles et militaires ! C’est un jour de solidarité – sans elle eut été impossible de vaincre. C’est, bien entendu, un jour de fête comme ce 9 mai 1945, quand la voix de Youri Lévitan, à la radio et portée dans les rues par les haut-parleurs, annonça que, dans la nuit du 8 au 9 mai à 0 h 16 heure russe (23 h 16 heure de l’Ouest), dans une villa de Karlshorst dans la banlieue Est de Berlin, devant les représentants de l’URSS, de la Grande-Bretagne, de la France et des États-Unis, le maréchal Wilhelm Keitel avait signé l’acte de reddition sans conditions du IIIᵉ Reich. Bref que la guerre était finie.
Ce que furent au quotidien les quatre années terribles qui séparent l’agression nazie du 22 juin 1941 de l’assaut soviétique contre le Reichstag, sur le toit duquel des soldats rouges, immortalisés par le photographe Evgueni Khaldeï, plantèrent sous les balles le 2 mai 1945, le drapeau soviétique, il n’y a pas un Russe qui ne la sache aujourd’hui. Il n’y a pas une famille qui n’ait connu le malheur et le deuil.
Quand j’étais à Moscou, comme correspondant de L’Humanité, chaque fois que j’y suis retourné précisément ce jour-là jusqu’au Covid, j’ai ressenti une immense émotion en voyant dans les rues, sur les places, dans les squares et les jardins, des nuées d’enfants endimanchés, chargés de fleurs qu’ils allaient offrir aux « vétérans », femmes et hommes, qui pour l’occasion avaient épinglé leurs décorations sur leur poitrine. Quelle fierté était la leur quand ils contaient leur histoire aux enfants alors que, partout, flottaient les drapeaux rouges de la Victoire, comme ils flottent déjà partout à Moscou en l’honneur de ces 80 ans de la Victoire qu’on célébrera dans quelques jours. Comme l’un de ces drapeaux, frappé de la faucille et du marteau, flottera sur un char d’époque, un célèbre T-34, à l’ouverture de la parade sur la Place Rouge le 9 mai prochain.
Il sera 10 heures quand sonnera le carillon du Kremlin. Il sera 9 heures en France. Un décalage mais qui n’est pas qu’un décalage horaire. L’Union européenne a interdit aux dirigeants de ses pays membres de prendre part aux commémorations à Moscou et même aux candidats à l’adhésion, comme certains pays des Balkans. Ce serait une entorse aux « valeurs européennes ». Mais il n’est pas interdit à d’anciens de la Waffen-SS, ou à leurs descendants, de défiler en uniforme, dans les rues des capitales baltes, Riga, Tallinn ou Vilnius ou encore à Lviv en Ukraine, ce n’est pas contraire à ces mêmes valeurs !
Pour libérer, seuls, son pays et la moitié de l’Europe, l’Armée rouge a perdu 18 millions des siens. Aujourd’hui, les diplomates russes en poste dans UE ne sont pas invités aux commémorations ou se voient interdits d’y participer comme cela vient de se produire dans le Brandebourg, le Land autour de Berlin. Oui Berlin ! Là où dans le cimetière du Treptower Park reposent vingt mille soldats soviétiques.
Comme l’écrivait Bertolt Brecht, dans l’épilogue de la Résistible Ascension d’Arturo Ui, « le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde ».