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Jacques Paquier - CC BY 2.0
Sortir du temps des troubles

L’impossible coalition

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Gouvernement Histoire

« L’incompréhension du présent nait fatalement de l’ignorance du passé. Mais il n’est peut-être pas moins vain de s’épuiser à comprendre le passé, si l’on ne sait rien du présent » Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien.

Depuis plusieurs semaines, voire depuis la dissolution ratée d’Emmanuel Macron, des hommes et femmes politiques, des commentateurs, des journalistes, s’interrogent, avec plus ou moins de sincérité : pourquoi ce qui est possible ailleurs, par exemple en Allemagne, n’advient pas en France. Pourquoi on n’arrive pas à bâtir chez nous ces grandes coalitions qui gouvernent outre-Rhin ?

N’a-t-on pas chez nous le sens du compromis ? Le « régime des partis » empêche-t-il la stabilité politique ?

«  Le devoir d’un parti vraiment révolutionnaire, écrivait Lénine, n’est pas de proclamer une renonciation impossible à tout compromis, mais bien de savoir rester, à travers tous les compromis, dans la mesure où ils sont inévitables, fidèle à ses principes, à sa classe, à sa mission révolutionnaire, à sa tâche de préparation de la révolution et d’éducation des masses en vue de la victoire révolutionnaire ». [1]

De tels compromis, l’histoire politique française en regorge. Ils sont par nature conjoncturels. La gauche est d’ailleurs prête à en consentir en réclamant depuis les législatives de 2024 la direction du gouvernement. Autre chose serait la construction d’une coalition qui gommerait les différences, les divergences, les identités contraires entre formations de droite et de gauche dans une alliance visant une certaine pérennité.

La singularité française est là. Elle a une histoire, même si celle-ci a connu, dans ce domaine pas mal de vicissitudes. Une histoire et des racines. Dans sa préface à la troisième édition allemande (1885) du « 18 Brumaire de Louis Bonaparte » de Marx, Friedrich Engels les met à jour : « Centre du féodalisme au moyen âge, pays classique, depuis la Renaissance, de la monarchie héréditaire, la France a, dans sa grande Révolution, détruit le féodalisme et donné à la domination de la bourgeoisie un caractère de pureté classique qu’aucun autre pays n’a atteint en Europe. De même, la lutte du prolétariat révolutionnaire contre la bourgeoisie régnante y revêt des formes aiguës, inconnues ailleurs ».

C’est donc ici qu’il faut chercher. L’ultime raison à l’impossibilité systémique d’une collaboration de classe institutionnalisée, quand bien même certains éléments réformistes en restent tentés. L’explication c’est la Lutte de classe dont Marx disait qu’en France elle était « poussée jusqu’au bout ».

Dans ces conditions, il reste au parti révolutionnaire à trouver la méthode qui consiste à passer les alliances nécessaires à l’élaboration et à la conduite d’une politique visant à la satisfaction des besoins et aspirations du monde du travail et de la création, sans hypothéquer le but final : le dépassement du capitalisme et la construction d’une société post-capitaliste que, pour ce qui nous concerne, nous appelons socialiste.

« La grande méthode, écrivait Bertolt Brecht, est un enseignement pratique concernant les alliances et la rupture des alliances, l’art d’exploiter les changements et la dépendance où l’on est par rapport aux changements, la réalisation du changement et le changement des réalisateurs, la dissociation et la formation des groupes, la dépendance des contraires entre eux, la compatibilité des contraires qui s’excluent. La grande méthode permet de discerner des processus dans les choses et de les utiliser. Elle enseigne à poser des questions qui rendent l’action possible ». [2]

Il reste que nous sommes aujourd’hui plongés dans une crise qui n’est pas une crise de cabinet, une crise politique conjoncturelle, mais une crise de régime inséparable d’une crise de système. Du genre que décrivait Antonio Gramsci : « À un certain point de leur vie historique, les groupes sociaux se détachent de leurs partis traditionnels, c’est-à-dire que les partis traditionnels, dans la forme d’organi­sation qu’ils présentent, avec les hommes bien déterminés qui les constituent, les représentent, et les dirigent, ne sont plus reconnus comme expression propre de leur classe ou fraction de classe. Quand ces crises se manifestent, la situation immédiate devient délicate et dangereuse, parce que le champ est ouvert aux solutions de force, à l’activité des puissances obscures, représentées par les hommes providentiels ». [3]

C’est ce que nous constatons depuis 2017 avec l’élection d’Emmanuel Macron.

À suivre : Ambition, arrogance et de bons Apôtres

Notes :

[1Lénine, Au sujet des compromis, Œuvres t. 25, Paris-Moscou.

[2Bertolt Brecht, Me Ti, Livre des retournements

[3A.Gramsci cahier de prison XXX Observations sur quelques aspects de la structure des partis politiques dans les périodes de crise organique. Gramsci dans le texte Editions sociales Paris 1975

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