Selon eux, s’imprégner de positivité, c’est influer directement sur notre vie et faire venir à nous la joie, l’abondance… (et le retour de l’être aimé ?). Cette perspective alléchante, et ce bonheur à peu de frais génère pourtant d’énormes profits pour ces nouveaux gourous (entre 2021 et 2022, le chiffre d’affaires du développement personnel a cru de 17,5 % pour atteindre les 71 millions d’euros en France [1]). Mais surtout, ce mouvement de fond cache en réalité un anti-matérialisme débridé.
Le premier à parler de pensée positive, Norman Vincent Peale, était un pasteur méthodiste de l’Ohio, anticommuniste virulent, conservateur et ami proche de J.Hoover et de Nixon… La pensée positive s’inscrit donc totalement dans la vision capitaliste. Ta réussite ne dépend que de toi, que de ton esprit. Tes échecs ne dépendent que de toi. L’American Dream, en quelque sorte.
Pour réussir, il suffit de le vouloir, de chasser de son esprit toute négativité, de se répéter des phrases positives ou motivantes. Et surtout, il ne faut pas oublier d’écarter de sa vie toute personne qui ne comprend pas la démarche ou qui doute de l’approche. Même si ces personnes sont des membres de sa propre famille ou des amis. La secte n’est pas loin, la MIVILUDES [2] peut en témoigner.
Rappelez-vous que vous deviendrez ce que vous pensez, en bien ou en mal
Norman Vincent Peale, La pensée positive (1983)
Bien évidemment, des exemples de « réussite » par l’auto-persuasion existent, même s’ils sont rares et dépendent avant tout de la chance, du hasard… Voire du déterminisme social ! Ils sont pourtant pris en modèles pour nous faire croire que cela arrivera si on le veut assez fort. Un magnifique exemple du biais du survivant.
C’est aussi le plus récent exemple de la lutte entre matérialisme et idéalisme. En effet, avec la pensée positive puisque la société, la réalité, qui existe en dehors de nous, n’influe plus sur nos vies, mais qu’à l’inverse, nous changeons notre vie par la force de notre esprit : à quoi bon la lutte collective ? À quoi bon s’organiser dans un parti ou dans un syndicat, puisque par notre pensée nous pouvons accéder à la réussite individuelle ? À quoi bon défendre son outil de production menacé par la délocalisation d’un patronat avide de faire plus de marge ?
La pensée positive, cette pensée magique, est donc en réalité un hymne à l’individualisme et à l’idéalisme (philosophique).
Entre pansement et instrument de régression sociale
À l’heure où le néo-libéralisme fait reculer nos droits, où tous les services publics sont démantelés petit à petit, cette pensée fait office de pansement ou de refuge pour bon nombre de personnes. Dans un monde déstabilisé, paupérisé, cette attaque idéologique amplifie les renoncements. Ainsi, en même temps qu’elle se nourrit du recul des utopies collectives, la pensée positive accélère la mise à mal des grandes organisations qui peinent à se remassifier.
Il serait bien imprudent de sous-estimer ce phénomène de long cours, qui accompagne le capitalisme, avec un succès certain. Le parallèle entre ces nouveaux apôtres et les canons de la religion est évident : aide-toi et le ciel t’aidera.
Cette offensive idéologique envahit tous les supports, des librairies aux smartphones comme en témoigne l’influenceuse Léna Mahfouf (aka Léna Situations), suivie par des millions de jeunes à travers la France sur les réseaux sociaux, qui sous couvert d’empowerment des femmes, fait la promotion insidieuse de cette pensée dans ses vidéos ou dans son livre Toujours plus, + = +… Tout un programme.