C’était presque trop facile – un brin d’ARN se posait sur l’emplacement d’un gène, en prenait copie, puis, servant de messager, se déplaçait vers une sorte d’atelier-usine où il était lu comme on lisait les fiches perforées destinées aux ordinateurs de l’époque. Grâce à l’énergie des mitochondries, de curieux organites dotés de leurs propres chromosomes, cette petite usine fournissait à sa cellule, la protéine attendue.
Pour la dialectique de l’époque, tout ce processus se résumait par la formule « un gène - une protéine ». Sauf que sur la longue molécule hélicoïdale de l’ADN, objectivée quelque temps plus tôt, ces gènes codants n’en occupaient qu’environ 2%.
Ces longues portions sans gêne sur l’ADN, n’étaient-elles pas ce qui restait des rencontres au cours de millions d’années d’évolution ? une sorte de poussière accumulée dans un vieil appartement ?
Et l’on se contenta de baptiser d’ADN POUBELLE, ces emplacements inutilisés pour la fabrication de protéines.
Mais à quoi pouvait donc servir tout cet espace sans gène ?
Sollicitons maintenant notre explorateur pour qu’il se déplace au tournant du siècle pour enquêter sur cette encombrante poubelle.
Comme il fallait s’y attendre, ces déchets intriguent les biologistes de l’époque. D’autant qu’il se confirme que de longues séquences quasiment semblables semblent conservées dans des espèces séparées depuis au moins 150 millions d’années. Ce qui prouve forcément leur utilité, car, dans le cas contraire, des mutations aléatoires les auraient rendues, à la longue, méconnaissables.
Pour la facilité d’une étude parue dans Science pour étudier ces longues séquences, que l’on nomma CNGS (Conserved Non-Genic sequences), on avait choisi le plus court des chromosomes, le n° 21. Et on le retrouva dans 14 espèces, allant de l’ornithorynque au singe, en passant par l’éléphant et le kangourou.
Les questions se multipliaient : ces longues séquences qui occupent environ 3% du génome, étaient-elles utilisées pour la régulation des gènes ? Les maladies génétiques seraient-elles provoquées par d’autres causes que des altérations des gènes ? Seraient-elles le fruit de changements à distance d’éléments éloignés d’un gène, mais qui seraient importants pour son activation et sa régulation ?
Soutenue par les progrès spectaculaires de la génomique, l’hypothèse de la régulation des gènes déboucha bientôt sur la découverte accélérée des sources de nombreuses maladies héréditaires.
Comme elle expliqua parfois, la survenue d’anomalies impromptues par le manque, à distance, d’une délétion (le manque d’un petit fragment d’ADN), sur ces éléments séparés.
Comme on pouvait s’y attendre, notre voyageur du temps s’est pris au jeu.
Il nous invite maintenant à retrouver l’interview du titulaire du grand prix Inserm de 2010 sur les ondes de France-Inter le 7 décembre 2010. Ce chercheur marseillais y expliquait que les virus étaient définis depuis le XIXème, par leur taille qui leur permet de passer à travers des matériaux ultra-filtrants. Mais un jour, en fouillant la poubelle du laboratoire et en photographiant au microscope électronique une formation que l’on avait pris jusque-là pour une bactérie inclassable, il s’aperçut qu’il avait sous les yeux une structure typiquement virale.
Le premier virus géant connu, le « Mimivirus », venait d’être découvert grâce à la co-culture sur amibe par l’équipe de l’Unité de recherche sur les maladies infectieuses et tropicales émergentes, à Marseille, en collaboration avec une équipe du laboratoire Information génomique et structurale (IGS).
L’amibe, ou l’utilité des éboueurs
Comme nous évoluons dans les poubelles depuis le début de ce récit, il est temps de s’intéresser aux éboueurs, ces agents de collectes, ces ripeurs déconsidérés, dont la grève peut avoir cependant un impact catastrophique sur la qualité de vie. Et comme nous avons rencontré l’amibe un peu plus haut dans la découverte d’un virus géant, revenons sur cet éboueur naturel souvent disgracié, mais dont la gloutonnerie fait parfois avancer la recherche.
L’amibe se nourrit des éléments organiques qu’elle rencontre. Et c’est dans cette insatiable goulue que fut détectée une nouvelle bactérie qui allait faire la « Une » des journaux du monde entier.
En pleine canicule, en juillet 1976, une curieuse épidémie décima les participants du congrès des vétérans de l’American Legion, à Philadelphie. La climatisation fonctionnait à plein régime dans le grand Hôtel Bellevue qui utilisait la vaporisation de son réservoir d’eau pour rafraîchir l’atmosphère - un procédé très efficace car il absorbe jusqu’à 537 calories par gramme d’eau vaporisée.
C’est à la fin du congrès qu’une vague soudaine de pneumonies graves se développa - 147 légionnaires furent hospitalisés - 29 succombèrent - aucune cause classique ne fut trouvée.
Et une véritable enquête policière démarra.
Dans notre présent où l’on tente de mettre en doute l’engagement de longue haleine et d’investissements nécessaires à la recherche, la comparaison avec la situation de juillet 1976 est particulièrement édifiante.
À cette époque, on ne mégottait pas sur le temps et les moyens accordés aux scientifiques.
Dès la survenue de l’épidémie, une cinquantaine d’épidémiologistes de l’Epidemic Intelligence Service (EIS) seront déployés sur place, appuyés par de nombreux experts microbiologistes, chimistes ou toxicologues, afin d’identifier le « Tueur de Philadelphie ».
Il fallut cependant un an et demi pour que soit dévoilée l’existence d’une nouvelle bactérie piégée par les amibes du réservoir d’eau douce de l’hôtel. Un bacille à Gram négatif dont la porte d’entrée respiratoire chez les sujets à risques s’avère responsable d’une mortalité d’environ 10% des personnes contaminées.
Rien d’étonnant dans le contexte que cette bactérie soit baptisée « légionelle » et que la maladie devienne la « légionellose ». Rien d’étonnant, non plus, que la réglementation soit devenue très attentive à la surveillance et l’utilisation des réservoirs d’eau douce et d’autres stockages d’eau chaude. C’est que la prolifération microbienne ne se fait pas toujours dans les réservoirs exposés à l’air libre.
Peu de temps après l’inauguration du prestigieux hôpital « Georges Pompidou » à Paris, la totalité du circuit d’eau chaude a dû être refait pour remédier à des zones de stagnation où prospéraient les fameuses « légionelles ». La contamination survenait en général par inhalation de microgouttelettes d’eau, notamment lors de prise de douche chez des patients pouvant présenter divers facteurs de vulnérabilité (personnes immunodéprimées, transplantées, personnes atteintes de diabète, d’insuffisance rénale, coexistence d’une maladie chronique…).
La réglementation s’est depuis élargie. De la surveillance des réservoirs d’eau douce, l’attention s’est portée sur les hôtels, les résidences de tourisme et de campings, où le fonctionnement saisonnier ou intermittent favorise la prolifération dans l’eau chaude.
Et particulièrement dans les bains à remous (spas) qui dispersent les gouttelettes d’eau dans l’air ambiant.
De la découverte épique de cette nouvelle bactérie, on peut mettre en exergue la chanson de Bob Dylan « Legionnaire’s Disease » (la maladie des légionnaires). Ce chanteur-auteur-compositeur s’est vu décerné plus tard, le Nobel de littérature, et certains se posent la question de savoir si son incursion musicale dans l’investigation biologique a joué dans l’attribution ?
Quant à notre voyageur, au moment de le remercier pour son aide, il aurait confié que depuis cette enquête, il regarde avec d’autres yeux sa boîte à ordures…
Sources utilisées : Le Temps, Université de Lausanne, France-Inter. Et un voyageur du temps !