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Récit

« Gourous et croyances »

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Santé

Je me souviens avoir été appelé, voici plus de cinquante ans, au domicile d’un médecin de quatre-vingt-cinq ans qui souhaitait me prendre comme médecin-traitant. Je partageais avec lui mes connaissances les plus fraîches et nous convenions ensemble de l’intérêt ou non d’adapter son traitement.

Cet agréable vieillard, qui était certainement beaucoup plus compétent que moi, me faisait partager sa longue expérience en me contant ses « histoires de chasse » en tant que médecin généraliste, puis comme médecin-conseil. Une façon plaisante, mais efficace, de comparer nos points de vue sur la médecine, sur les humains et la société ; bref d’apprendre aussi à se connaître et à s’apprécier.

L’estime, et bientôt l’affection partagée, s’étaient installées et nous abordions souvent les divers traitements de son cancer. Il avait parfaitement conscience des limites de ce que l’on utilisait en ce début des années 70, mais son épouse, adepte des médecines alternatives, espérait beaucoup d’un certain Dr Solomidès qui proposait son remède miracle ; les physiatrons. Mon vieil ami m’a confié un jour qu’il n’y croyait pas et qu’il ne se faisait pas d’illusion, mais qu’il ne pouvait refuser cet espoir à sa compagne.

En accord avec lui, je me suis donc investi dans le confort et dans le combat contre la douleur, et je me souviens avoir fait venir un dentiste à domicile pour soulager une douleur insupportable. Puis, j’ai assisté mon vieux confrère jusqu’à ses derniers moments.

J’avais la chance d’être l’associé d’un médecin d’expérience dont j’avais été le remplaçant. Pendant la dizaine d’années qu’a duré notre collaboration, nous nous sommes retrouvés chaque matin pour faire le point sur les situations que nous avions vécues la veille et pour comparer nos points de vue sur les diagnostics et les traitements. Cette émulation ne se limitait pas à nos partages, mais s’inscrivait aussi dans notre participation active aux réunions de deux centres de formation continue. Ce qui fait que le bruit autour des Solomidès ou autres « gourous » de l’époque ne nous concernait que par la bande et, plongé dans les réalités de tous les jours, je n’ai prêté qu’une attention discrète au devenir des « physiatrons ».

J’ai appris par la suite que le Dr Solomidès était décédé à soixante-huit ans, quelque temps après mon vieil ami et que ses traitements avaient été interdits puis retirés du marché. Ce qui n’empêcha pas que certains continuent d’y croire et de ne voir qu’un complot dans leur interdiction. D’ailleurs, le mythe persiste encore ; on peut lire sur la toile que ces traitements ont été interdits « probablement parce qu’ils étaient trop bons ». Et, en 2013, une association passa en justice pour avoir fabriqué et distribué ces médicaments illégaux, qualifiés de dangereux.

Il n’est donc pas étonnant qu’en lisant un article sur ce qu’on qualifie de médecine anthroposophique, le souvenir de mon vieux confrère me soit revenu. Voici plus d’un demi-siècle que mon ami est décédé, que la cancérologie a fait des progrès manifestes, que le nombre de chercheurs a été décuplé, que dans chaque continent des équipes s’ingénient à explorer les pistes que la nature ou les traditions proposent, et malgré tout, certains s’accrochent encore à leurs Lunes.

Que puis-dire de plus quand je lis que trois-cent-cinquante médecins continuent à prescrire des traitements en se référant à une croyance en la réincarnation répétée du système solaire et aux bienfaits du gui.

Réincarnation, le mot m’interpelle déjà. Réincarnation répétée du système solaire, cela me semble tourner à l’absurde, au loufoque, voire au comique de boulevard.

Et puis, pourquoi le gui ? Est-ce la réminiscence de croyances druidiques colportées et déformées au cours des temps ? Pour les anthroposophistes, ce gui aurait « échappé » à la réincarnation.

Par quel hasard ce parasite se serait désolidarisé des réincarnations successives de son système solaire en quittant à chaque fois sa branche d’arbre ?

Je n’en ai pas trouvé la raison, si raison il y a. Mais grâce à cette différence, « il protégerait des forces du mal, de Lucifer et d’Ahriman qui affaiblissent lourdement le corps astral des humains ».

J’ai cherché à me documenter sur ce fameux corps astral menacé par Lucifer et je suis tombé sur une histoire de sept corps superposés et d’organes suprasensibles comme les fleurs de lotus. Et en retrouvant ma logique d’enfant, je me suis demandé pourquoi le lotus n’avait pas été contaminé par les réincarnations ?

Le gui, par contre, a toujours intrigué. Cette tache de verdure au milieu de l’hiver, cette boule nichée parfois sur des branches inaccessibles, ce rameau qui continue à vivre quand l’arbre est mort ; pas étonnant que le gui ait inspiré des mythes depuis l’Antiquité.

Les Grecs l’associaient à Hermès, dieu messager de l’Olympe et dieu de la santé, et son rameau servait à Perséphone pour ouvrir la porte des enfers.

Dans la mythologie scandinave, Loki, le dieu malin, confie une branche de gui à Höd, le dieu aveugle, pour qu’il vise et tue son frère Baldr.

Chez les Celtes, les druides, en cueillant le gui le sixième jour après le solstice d’hiver et en prononçant une phrase magique, favorisaient la santé des hommes et la germination du blé.

L’art de guérir reste empreint d’un pouvoir mystérieux et, avec toutes les particularités de cette plante parasite, il n’est pas étonnant que les thérapeutes aient cherché à l’utiliser au cours des siècles. Les exemples ne manquent pas où la forme semblait indiquer le rôle ou la fonction thérapeutique : les plantes à latex étaient censées être bénéfiques pour la lactation ou le sperme, et l’asperge était supposée guérir l’impuissance.

Mais l’aura dont le gui a bénéficié semble plutôt liée à ses aspects exceptionnels.

Il poussait en hauteur, on l’utilisait pour traiter les vertiges.

Il survivait à son hôte, il devenait symbole d’immortalité et traitait la vieillesse.

Il résistait au froid quand toute autre verdure avait disparu, on l’utilisait pour les engelures.

Ceci ne veut pas dire pour autant que le gui ne possède pas de qualités médicinales. Au cours des siècles, on lui a trouvé des utilisations dans les problèmes urinaires, dans des troubles de la ménopause ou dans certaines affections cardiovasculaires.

Au prétexte que des magiciens s’en étaient emparés, l’étude des propriétés du gui et des plantes médicinales n’a pas été mise de côté. Et il faut parfois, au contraire, s’indigner de brevets sur le vivant qui spolient des populations autochtones de leurs connaissances ancestrales.

J’en étais là, après un semblant d’inventaire de ce qui avait auréolé le gui depuis des millénaires. Je pensais avoir accumulé suffisamment d’arguments pour convaincre de l’inanité de croyances à l’origine de certaines médecines pratiquées actuellement.

Mais, à la réflexion, il m’est venu un doute.

S’il me parait évident que le désir de guérir accompagne la réussite d’un traitement en s’associant à la confiance portée au médecin, ce désir peut s’accommoder, aussi, d’une adhésion à des croyances sans fondements établis. Et souvent, à la répétition de traditions culturelles ou familiales où le doute n’a pas de place. (Le doute n’a pas sa place quand il peut être vécu comme une agression ou une trahison de ce qui soude une communauté matérielle ou de pensée.)

Et comme, heureusement, dans les affections communes, la guérison survient la plupart du temps, la croyance et la conviction tendent à s’enraciner et à se transmettre. Jusqu’au jour où les préjugés peuvent déboucher sur la complication et, parfois, sur le drame.

Si dans une discussion, je peux faire bénéficier mes interlocuteurs de connaissances que j’ai intégrées sur le sujet en débat, je n’hésite pas à les partager. Je conserve probablement un peu de ma naïveté d’étudiant quand j’étais persuadé que l’étude et l’acquisition des connaissances ne pouvaient qu’écarter des croyances ineptes.

Mais sur ce point, il me faut convenir que je me suis fait des illusions : certains peuvent avoir des qualités d’intelligence et de discernement jusqu’à devenir médecins, puis accepter de croire aux bienfaits de pratiques magiques ou s’accrocher à la croyance des effets d’un « corps astral ».

Me suis-je fait aussi des illusions en croyant à Internet, quand la multiplication des accès aux informations, au lieu de ne privilégier que la connaissance, sert très souvent à bafouer l’intelligence, à donner du lustre à des inepties et des élucubrations, jusqu’à faire que le doute salutaire laisse la place aux théories du complot ?

Sommes-nous revenus aux époques où la raison cherchait à percer dans un mode de pensée magique et irrationnelle ?

À suivre le déroulement du monde, le rejet de la science, promu et accéléré par les plus hautes sphères décisionnelles, il y a matière à s’inquiéter.

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