Avec lui, pas de grands effets de manche. Une vision, une méthode et un refus obstiné de se laisser enfermer dans les visions simplistes du moment. Défendre la paix aujourd’hui, explique-t-il, c’est aller à contre-courant du climat politico-médiatique qui pousse à l’alignement et à la fascination morbide pour l’économie de guerre.
Le fil rouge du XXe siècle
Très vite, Patrick Staat replace les conflits actuels dans un continuum historique. Pour lui, la guerre n’est jamais un accident moral ou diplomatique « mais un produit du capitalisme et de ses crises », dit-il, comme une évidence.
Il déroule alors une fresque rigoureuse : essor industriel de la fin du XIXe siècle, explosion du textile, du charbon, de l’acier, chemins de fer à toute vapeur. Et, dans les usines, des journées de 12 heures, aucune protection sociale, aucun droit véritable.
« Le capitalisme a utilisé la guerre pour écraser les premiers mouvements ouvriers et contenir les avancées sociales », affirme-t-il. Une phrase sèche, appuyée, que le rappel de Jaurès vient éclairer. Assassiné trois jours avant que la Première Guerre mondiale ne soit déclarée. Et, déjà à l’époque, les « élites » assurées que tout serait réglé en quelques semaines.
« L’impérialisme a toujours utilisé la guerre pour sortir des crises »
À mesure que la conversation avance, c’est une lecture matérialiste de l’histoire européenne qui prend forme.
La Première Guerre mondiale, explique-t-il, est l’aboutissement logique du partage du monde par les grandes puissances capitalistes. La Seconde en est la prolongation directe, avec un fascisme utilisé comme outil de terreur pour écraser le mouvement ouvrier et détruire les avancées démocratiques ; obtenues notamment par la crainte d’une « contagion venue depuis la Russie bolchévique ».
Patrick Staat rappelle aussi ce que beaucoup préfèrent oublier. « Plutôt Hitler que le Front populaire, ce n’était pas un slogan marginal. C’était la ligne réelle du patronat et des droites françaises. »
Il cite les grandes firmes allemandes qui ont prospéré sous Hitler, la lâcheté de Munich, l’abandon de l’Espagne républicaine, la peur panique des révolutions ouvrières qui avaient agité l’Allemagne de 1918 à 1923. « Rien de tout cela n’est anecdotique. Ce sont les ressorts de la guerre. »
Des résonances troublantes avec aujourd’hui
Et aujourd’hui ? Le dirigeant de l’ARAC ne cherche pas les parallèles forcés. Il constate.
Montée de l’extrême droite en Europe, attaques contre les droits sociaux, désignation de nouveaux ennemis, explosion des profits dans l’industrie de l’armement. « Les guerres sont des affaires juteuses pour une minorité de multinationales », résume-t-il. Pour lui, la situation actuelle montre surtout une chose : la paix n’est jamais acquise.
Sur l’Ukraine, Patrick Staat refuse les caricatures.
Oui, la Russie a agressé l’Ukraine en 2022. Mais rien ne peut être compris sans évoquer l’élargissement de l’OTAN, les promesses non tenues de 1990, le sabotage des accords de Minsk, et les calculs stratégiques de Washington. Il rappelle le rôle des États-Unis dans les conflits depuis la fin de la guerre froide, leur volonté d’imposer leurs normes économiques, politiques et militaires au reste du monde.
Il cite la Charte des Nations unies, « une charte qui aurait dû fonder un ordre international basé sur la coopération et le droit ». Puis Roland Weyl, pour appuyer son propos. « L’OTAN correspond à ce que serait une bande armée dans un pays. » Dans sa bouche, rien de gratuit. Une analyse, posée, argumentée.
Le devoir de mémoire comme condition de la paix
Avant de partir, il insiste longuement sur ce point. Pour lui, l’oubli est le carburant de toutes les régressions. « Si les jeunes ne savent rien de 14–18, du fascisme, de la Résistance, des guerres coloniales, alors tout peut recommencer. »
L’ARAC, dit-il, ne travaille pas pour le folklore, ni pour les cérémonies obligées. « On ne défend pas la paix sans comprendre l’histoire. Comment transmettre des valeurs républicaines si l’on ne transmet pas les combats, les souffrances, les trahisons, les résistances ? »
La rencontre s’achève comme elle a commencé : calmement, sans pathos, mais avec une détermination presque tranquille. « La paix n’est pas un mot. C’est un combat politique », glisse-t-il en rangeant ses notes.
Dans un moment où les discours martiaux occupent l’espace, où l’idée même d’économie de guerre devient un horizon présenté comme inévitable, l’ARAC rappelle une évidence que beaucoup voudraient enterrer : « la paix se construit, se défend, s’apprend ».
Et elle commence, toujours, par la lucidité.