C’est dans l’immensité aride du désert de Gobi, dans la province du Gansu, que la Chine a frappé un grand coup en juin 2024. Ce mois-là, elle a mis en service le tout premier réacteur nucléaire au thorium pleinement opérationnel au monde : le TMSR-LF1. Ce réacteur à sels fondus de 2 MW thermiques a franchi une étape technologique majeure en prouvant qu’il pouvait être rechargé en combustible sans interruption de fonctionnement — une première mondiale saluée par la communauté scientifique, mais passée largement sous silence dans les médias occidentaux.
Le début d’un plan à grande échelle
Ce prototype, développé par l’Institut de physique appliquée de Shanghai (SINAP), représente plus qu’une avancée scientifique. Il inaugure une stratégie de long terme visant à faire du thorium un levier de souveraineté énergétique et de puissance géoéconomique. La phase suivante est déjà lancée : un réacteur plus puissant, de 10 MW thermiques, est en cours de construction et devrait être mis en service à l’horizon 2030. Ce jalon stratégique pourrait marquer le début d’une série d’installations de réacteurs thorium à travers tout le territoire chinois.
Le choix du Gobi ne doit rien au hasard. Éloigné des centres urbains, le site bénéficie d’un climat sec qui limite les effets corrosifs sur les circuits de sels fondus. Il constitue une vitrine technologique à ciel ouvert, dont les enseignements préparent une standardisation industrielle rapide. Les réserves identifiées en thorium à travers la Chine pourraient garantir plusieurs décennies, voire siècles, d’indépendance énergétique nucléaire, redéfinissant la hiérarchie mondiale dans ce domaine.
Le thorium comme levier diplomatique
Pékin n’entend pas garder cette technologie pour elle seule. Dans le cadre de son initiative des Nouvelles Routes de la soie, la Chine envisage d’exporter des réacteurs thorium de petite taille à ses partenaires stratégiques : Pakistan, Indonésie, pays d’Afrique de l’Est, voire certains pays du Golfe. Ces installations pourraient être modulables, autonomes et connectées à distance, embarquant l’IA pour leur supervision et intégrant des systèmes de production d’hydrogène vert.
Cette diplomatie du thorium présente plusieurs atouts : le thorium ne nécessite pas d’enrichissement préalable, limite les déchets à longue durée de vie, et ne produit pas directement de plutonium utilisable à des fins militaires. À ce titre, Pékin propose une énergie nucléaire « propre » et non hégémonique, en rupture avec les approches dominantes du XXe siècle.
Le thorium devient ainsi un vecteur de puissance douce, mais stratégique. En parallèle, la Chine renforce ses positions dans les chaînes de valeur associées : extraction de monazite, développement des matériaux résistants à la corrosion pour les circuits de sels fondus, formation d’ingénieurs spécialisés. Elle multiplie aussi les coopérations avec l’Inde, qui détient les plus vastes réserves mondiales de thorium, ouvrant la voie à un futur axe sino-indien autour de cette ressource.