Pourtant, la filière française peine à démarrer. En cause : l’absence d’une planification démocratique solide, construite avec tous les acteurs – chercheurs, industriels, salariés et élus territoriaux.
Des signaux d’alerte : McPhy, Stellantis, Symbio
L’exemple de McPhy est révélateur. Ce fabricant français d’électrolyseurs a fermé en juillet 2025 son usine de Belfort, quelques mois à peine après son inauguration. Faute de commandes, l’activité n’était pas rentable. Autre choc : Stellantis a annoncé l’abandon de ses utilitaires à hydrogène, au profit des véhicules à batteries. Résultat : l’usine de piles à hydrogène de Symbio à Saint-Fons, dans laquelle Stellantis est actionnaire, se retrouve fragilisée. Ces décisions montrent l’absence de vision industrielle coordonnée.
Lors de l’appel d’offres 2024, seize projets d’électrolyse ont été déposés, représentant 1 400 MW. Mais seuls 400 MW ont fait l’objet d’une demande de soutien, l’État n’ayant ouvert qu’une enveloppe de 200 MW. Dans le même temps, les crédits du programme « énergie, climat et hydrogène » ont chuté de 38 % en autorisations d’engagement et de 26 % en crédits de paiement dans le budget 2025.
Cette fragilisation budgétaire s’inscrit dans un choix politique plus large. La France entre dans une logique d’économie de guerre, marquée par une hausse massive des dépenses militaires et un déséquilibre croissant dans l’attribution des ressources publiques. Parallèlement, le manque de transparence dans les sommes offertes aux entreprises privées révèle l’absence totale de pilotage stratégique.
La recherche trop isolée de l’industrie
McPhy illustre aussi le manque de passerelles entre recherche fondamentale et déploiement industriel. La France dispose pourtant de centres publics de pointe comme le CEA-Liten, à Grenoble, qui travaille sur les électrolyseurs haute température, les nouveaux matériaux ou le stockage solide. Mais leurs résultats restent souvent cantonnés à la recherche en amont.
Les entreprises comme McPhy n’ont semble-t-il pas pu bénéficier de synergies suffisamment organisées entre laboratoires, industriels et acteurs publics. Résultat, des innovations sans débouchés concrets, faute d’un écosystème coordonné, des subventions publiques qui s’évaporent par millions.
La planification démocratique, clé de voûte industrielle
La France a besoin d’une stratégie hydrogène construite sur le long terme et dans la transparence. La planification démocratique, ce n’est pas une notion abstraite. C’est le travail en synergie entre la recherche, les industriels, les salariés de la filière et les élus dans les territoires. Cela implique des objectifs clairs à 10 ou 15 ans, un calendrier coordonné, des financements stables, et une juste répartition des infrastructures sur le territoire.
La révision 2025 de la Stratégie nationale hydrogène (SNH2) reste trop dépendante des arbitrages budgétaires et insuffisamment ancrée localement. Si les collectivités, les syndicats et les élus territoriaux ne sont pas pleinement associés, les décisions resteront déconnectées du terrain.
De son côté, l’Union européenne a posé un cadre pour l’hydrogène bas-carbone, même s’il fait l’objet d’observations critiques du groupement des professionnels de la filière. Des marchés pilotes pour l’acier ou les engrais sont prévus. En France, l’IRICC (outil de financement de projets industriels décarbonés) pourrait soutenir les e-fuels, les usages pour le transport lourd et les infrastructures associées. Mais sans budget sécurisé dans la loi de finances 2026, ces instruments risquent de rester sans effet.
L’hydrogène pourrait devenir un pilier de la souveraineté énergétique, créer des milliers d’emplois industriels, et contribuer à la lutte contre le réchauffement. Mais sans volonté politique ferme, qui travaillerait à une planification démocratique, la filière française risque de passer à côté. Il est encore temps d’agir. L’intervention constructive des salariés sur les enjeux stratégiques est le moyen d’y parvenir.