Le projet, baptisé Northern Lights et mené par Equinor, Shell et TotalEnergies, est le premier service commercial mondial de transport et de stockage de CO₂. Une étape symbolique qui relance un vieux débat : faut-il enterrer le carbone pour espérer atteindre la neutralité climatique ?
Dans le port de Øygarden, près de Bergen, le premier volume de CO₂ vient d’être injecté dans les fonds marins. Les industriels européens pourront désormais payer pour que leurs émissions soient captées, transportées et stockées en Norvège. Les partisans du projet parlent d’un « maillon essentiel » de la transition, permettant de réduire rapidement les rejets des secteurs les plus polluants. Ses opposants dénoncent au contraire une fuite en avant : au lieu de changer de modèle productif, on déplacerait simplement le problème sous terre.
Pourquoi certaines usines ne peuvent pas faire sans
Dans l’imaginaire collectif, réduire les émissions de gaz à effet de serre passe par des énergies propres, des voitures électriques ou des gestes de sobriété. Mais certaines industries émettent du CO₂… parce qu’elles ne peuvent pas faire autrement.
C’est par exemple le cas de la chaux et donc, in fine, de l’acier : à chaque étape de sa production, une réaction chimique libère du dioxyde de carbone. Même avec des fours électriques alimentés par de l’énergie verte, l’émission reste « incompressible ». Par exemple, produire une tonne de chaux génère mécaniquement une tonne de CO₂. Sans solution de captage, il est tout simplement impossible de produire de la chaux sans polluer.
En France, un site illustre bien ce dilemme : l’usine de chaux de Réty, dans le Pas-de-Calais. Surnommée le « petit Usinor » en raison de ses liens étroits avec la sidérurgie, elle fournit près de la moitié de sa production à ArcelorMittal Dunkerque. Elle fait aussi partie des 50 sites les plus émetteurs du pays.
Pour continuer à produire tout en respectant les objectifs climatiques, Réty mise sur le captage carbone. Le projet prévoit de récupérer à la sortie des fours 95 % du CO₂ généré par la calcination du calcaire, puis de l’acheminer vers un site de stockage. À terme, ce serait plus de 600 000 tonnes de CO₂ par an qui seraient évitées – l’équivalent des émissions de 55 000 foyers.
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Pas une solution miracle, mais un outil
Le captage et stockage du carbone (CCS) n’a pas que des partisans. Ses critiques pointent des coûts encore élevés, le risque de dépendance aux énergies fossiles, et surtout la tentation pour certains groupes pétroliers d’en faire un alibi pour continuer à exploiter gaz et pétrole.
Mais ces craintes ne peuvent pas effacer qu’aucune autre solution n’existe à court terme pour les émissions « incompressibles » des industries lourdes. Les projets déjà opérationnels montrent que l’on peut capter entre 90 et 95 % des rejets. Ce n’est pas parfait, mais c’est un progrès considérable par rapport au statu quo.
Le CCS ne sauvera pas le climat à lui seul. Il ne doit pas remplacer l’électrification, l’amélioration de l’outil de production ou la relocalisation industrielle. Mais dans les secteurs où l’on ne peut pas faire autrement – comme la chaux –, il peut éviter une impasse : soit continuer à polluer, soit arrêter de produire et donc dépendre entièrement des importations.
Capturer le CO₂ n’est donc ni une baguette magique, ni une imposture. C’est un outil parmi d’autres, dont l’efficacité dépendra de l’usage qu’on en fait et de la stratégie industrielle qui l’accompagne. De nouveau, la planification s’invite dans le débat et devient indispensable.