On ne rigole pas avec la responsabilité sociale de l’employeur. On ne rigole pas non plus avec la santé mentale et la psychologie des salariés. Encore moins quand l’employeur en question s’apprête à liquider des centaines de postes et quand il explique lui-même qu’un pan entier de l’économie (la sidérurgie française, voire européenne) est menacée à terme.
La note d’information qu’ont reçue les salariés d’ArcelorMittal France (c’est de cet employeur dont il est question ici) aurait pu passer inaperçue tant elle est lapidaire. Émanant du Service Santé au Travail (SST) de l’entreprise, elle annonce la mise en place d’une cellule d’accompagnement psychologique et propose aux salariés « des temps d’échange en collectif avec une psychologue du travail de CS Conseil ».
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Faire passer la pilule
CS Conseil est une structure privée qui aide les entreprises à « favoriser l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle de [leurs] salariés. » Elle accompagne également les employeurs « dans la prévention/action concernant les questions d’ordre social et psychologique pour permettre d’améliorer la qualité de vie de [leurs] équipes ».
Dans ce cas précis, il s’agit de faire passer la pilule à ceux qui vont perdre leur job et qui s’interrogent sur leur avenir, sans savoir s’ils feront partie de la charrette. Alors, la cellule d’accompagnement psychologique explique les raisons de participer à l’échange qu’elle propose. Il s’agit pour les salariés « d’exposer leur point de vue sur la situation, d’échanger collectivement avec d’autres salariés de l’entreprise, d’exprimer leurs émotions (sic), et de se voir apporter un soutien. »
Trois rendez-vous ont déjà été proposés. Il en reste un le 25 juin. Des entretiens individuels peuvent aussi être programmés. Décidément, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le point de vue des salariés sur la situation, il est peu compliqué de le deviner. Entre se retrouver au chômage et garder son emploi, peu vont choisir le chômage de gaieté de cœur. D’ailleurs, ils sont nombreux à avoir déjà choisi de partir pour des horizons plus cléments. Quant à la situation en général, les syndicats, comme la CGT, n’ont cessé de répéter que la mort de la sidérurgie entraînera un tsunami social sur les territoires concernés.
Échanger collectivement avec d’autres salariés ? ArcelorMittal fait sans doute œuvre de responsabilité sociale. Il oublie que le travail syndical, avec ses nombreuses alertes depuis longtemps, l’a devancé.
Restent les « émotions des salariés » et le « soutien » que souhaite leur apporter la cellule psychologique. Loin de nous l’idée de nous moquer de cette initiative patronale et humanitaire. Loin de nous également l’idée de minimiser le rôle des psychologues qui ont vocation à accompagner les salariés d’une entreprise, en particulier d’un grand groupe, dans leurs soucis quotidiens (famille, santé au travail, soucis budgétaires, logement, décès, etc.)
À la veille d’une catastrophe sociale annoncée
Dans ce cas précis, la structure CS Conseil intervient à la veille d’une catastrophe sociale que les syndicats cherchent à éviter. Ce n’est pas pour rien que la CGT d’ArcelorMittal travaille, avec d’autres partenaires, à l’élaboration d’un projet de loi pour nationaliser, totalement ou partiellement, ArcelorMittal.
La cellule psychologique semble arriver comme un cheveu sur la soupe. Mais peut-être a-t-elle d’abord pour objectif de sécuriser la direction d’ArcelorMittal elle-même. Souvenons-nous : c’était il y a longtemps. En 2013, à Liège. Un ouvrier d’ArcelorMittal Liège, Alain Vigneron, s’était donné la mort deux ans après l’annonce de la fermeture de son atelier. La direction s’était dite « attristée », avait présenté ses condoléances à la famille, mais avait tenu à s’expliquer.
L’ouvrier de 45 ans, responsable de fabrication, ne supportait plus une situation qui avait fait éclater sa famille. Dans une lettre d’adieu, il avait dénoncé les agissements de… Lakshmi Mittal.
Et la direction liégeoise avait commenté : « Nous savions qu’il traversait des difficultés depuis plusieurs années et nous lui avions fourni une aide psychologique ». Bien sûr. Demain, si le dossier ArcelorMittal France n’évolue pas, ils seront des centaines à souffrir. Une aide psychologique proposée par le seul patronat ne saurait leur suffire.