Fondée il y a plus de 70 ans, l’entreprise est connue pour sa capacité d’innovation. Elle est l’un des rares constructeurs européens à avoir mis sur le marché un bus à hydrogène, le Hycity, et à développer un kit de conversion baptisé H2-Pack permettant de transformer des autocars diesel en véhicules propres. Mais les difficultés financières, conjuguées à la dure compétition internationale, ont fragilisé l’entreprise.
Face au tribunal, trois offres de reprise se sont présentées. C’est finalement Wanrun, acteur chinois spécialisé dans les batteries et matériaux pour véhicules électriques, qui a été retenu, avec une mise sur la table de 7 millions d’euros et l’engagement de maintenir 120 emplois sur 169. Le management actuel reste en place, ce qui doit assurer une certaine continuité.
Les projets annoncés
Le plan dévoilé par Wanrun et Safra se décline en quatre axes principaux.
D’abord, les bus à hydrogène de Safra continueront à être produits. Ces véhicules, destinés au transport urbain et interurbain, constituent la vitrine technologique de l’entreprise.
Ensuite, en s’appuyant sur le savoir-faire de Wanrun dans les batteries, Safra veut proposer une déclinaison tout électrique de ses bus. L’idée est de répondre à la diversité des appels d’offres des collectivités, certaines préférant l’électrique pur, d’autres l’hydrogène.
Ce développement permettrait d’accélérer le retrofit avec le H2-Pack. Le marché du retrofit est en plein essor : il permet de prolonger la vie des autocars existants en les convertissant à l’hydrogène. Safra espère industrialiser ce processus et convaincre autocaristes et opérateurs de réseaux.
Enfin, Safra ambitionne d’intégrer une activité de conception et d’assemblage de packs batteries et de solutions de stockage, pour devenir un acteur complet de la mobilité zéro émission. C’est un nouveau pôle baptisé « new energy » par le groupe.
Quels clients, quels marchés ?
Les clients cibles sont d’abord les collectivités locales et les autorités organisatrices de mobilité que sont les agglomérations et les métropoles, qui achètent la majorité des bus en France et en Europe. Les opérateurs privés comme Transdev ou Keolis figurent aussi parmi les prospects, tout comme les autocaristes intéressés par le retrofit.
Si le marché français et européen reste prioritaire, Wanrun pourrait aussi utiliser Safra comme tremplin vers des marchés à l’export, notamment en Asie, où la demande en bus propres est en pleine croissance.
Cette reprise offre à Safra un accès direct à la chaîne d’approvisionnement en batteries et matériaux, secteur dans lequel Wanrun est un acteur reconnu. Autre atout : en combinant technologies hydrogène et batterie, Safra pourra proposer des solutions adaptées à chaque contexte. Enfin, l’industrialisation du retrofit ouvre un marché important, fondé non seulement sur la vente de kits mais aussi sur la maintenance et le suivi technique.
Des risques bien réels
Mais plusieurs menaces pèsent sur ce plan. La première est la dépendance technologique et industrielle. Si Wanrun décidait de rapatrier une partie de la R&D en Chine, les retombées pour l’écosystème local pourraient être limitées. Vient ensuite la viabilité commerciale : développer en parallèle une gamme hydrogène et une gamme électrique nécessitera des investissements lourds. Safra devra rapidement gagner des marchés pour survivre. S’y ajoute le danger que fait peser la dépendance économique de l’UE vis-à-vis des États-Unis, actée par les capitulations successives de la Commission européenne, notamment en matière d’énergie et du chantage aux taxes dans la guerre commerciale.
Enfin, la décision du tribunal, prise malgré le soutien local à une offre française concurrente, a relancé le débat sur la souveraineté industrielle. Les syndicats rappellent le spectre d’autres reprises étrangères ayant mal tourné dans le passé.
Quelles perspectives pour l’Albigeois ?
Si les promesses sont tenues, Safra pourrait devenir un pôle majeur de compétences en hydrogène et retrofit dans le Sud-Ouest, avec des retombées positives pour l’emploi qualifié, la sous-traitance locale et la recherche appliquée en partenariat avec les universités et centres techniques.
Mais l’incertitude demeure. Quel sera le degré d’ancrage local de cette nouvelle stratégie ? Quels engagements précis Wanrun respectera-t-il à long terme ?
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La reprise de Safra par Wanrun est à la fois une chance de rebond et un pari risqué. Tout dépendra de la capacité de l’entreprise à transformer ses annonces en marchés concrets et à contribuer aux efforts de l’Albigeois pour créer un véritable pôle de recherche et d’innovation sur l’hydrogène et la mobilité propre. Ce ne serait que justice après les millions d’euros d’aides publiques accordés à cette entreprise.
Pour cela, il est essentiel que les élus locaux, en concertation avec les organisations syndicales de salariés, suivent de près ce dossier. L’avenir de l’emploi, de la recherche et de la souveraineté industrielle en dépend largement.