Si certains y voient une opportunité d’exportation et de montée en puissance, d’autres s’interrogent : quels défis devra affronter Safra pour conserver son identité et sa compétitivité, notamment face à ses concurrents européens comme l’italien IVECO Bus qui travaille de plus en plus sur l’hydrogène, le polonais SOLARIS, qui a désormais une bonne expérience de production.
Une PME innovante dans un marché sous tension
Safra s’est distinguée ces dernières années par sa spécialisation dans les bus à hydrogène et les services de retrofit (transformation de bus thermiques en véhicules électriques ou à hydrogène). Elle a su développer une expertise reconnue, notamment avec son modèle HYCITY®, tout en conservant une structure de PME industrielle, agile mais exposée aux aléas des marchés publics, des appels d’offres et de l’insuffisance de politiques coordonnées entre les régions que l’État aurait dû envisager sous la forme d’une planification nationale solide de la filière Hydrogène.
En face, IVECO Bus, filiale du groupe CNH Industrial, pèse beaucoup plus lourd. Forte de plusieurs sites de production en Europe (France, Italie, Tchéquie), la marque italienne bénéficie d’un réseau logistique solide, d’un accès privilégié à certains marchés, et d’une gamme complète, du diesel au 100 % électrique, en passant par le gaz et l’hydrogène. IVECO mise aussi sur une forte capacité d’industrialisation et une standardisation de ses modèles.
Le polonais SOLARIS, quant à lui, a pénétré le marché européen et a vendu son bus hydrogène URBINO 12 à plus de 50 collectivités !
Wanrun : une opportunité ou un risque ?
Le rachat par Wanrun, acteur chinois en croissance dans le secteur des équipements automobiles et de la mobilité électrique, pourrait permettre à Safra d’accéder à de nouveaux marchés, notamment en Asie ; de bénéficier d’un soutien financier pour accélérer la R&D et renforcer les capacités industrielles ; de réduire ses coûts de production, si certaines chaînes d’approvisionnement sont rationalisées via la Chine.
Mais ce rachat soulève aussi plusieurs enjeux critiques : le risque d’un transfert progressif de savoir-faire ou d’un déplacement de l’innovation vers la maison mère ; les collectivités territoriales, souvent sensibles à la dimension locale, pourraient être réticentes à acheter des bus d’une société désormais sous pavillon chinois bien que, dans son secteur, tous ses concurrents sont étrangers. Enfin, reste posé le défi de la montée en échelle. La Safra devra produire plus pour rentabiliser le capital investi, sans sacrifier sa qualité et sa capacité d’innovation.
Face à IVECO, SOLARIS et autres industriels européens, Safra devra se battre sur les prix, les délais de livraison et la maintenance, tout en conservant sa spécificité.
Un combat pour l’indépendance industrielle
Au moment où la France affirme vouloir relocaliser et renforcer son autonomie industrielle, ce rachat soulève une question centrale : peut-on laisser nos PME stratégiques devenir des filiales de groupes étrangers sans contrepartie claire, ou pour reprendre les termes du dirigeant chinois Xi Jinping sans opération « gagnant-gagnant » ?
Face à IVECO, Solaris, MAN ou même BYD, Safra est un acteur de niche qui pourrait devenir un modèle de souveraineté verte — ou, au contraire, un maillon affaibli dans une guerre industrielle mondiale.
La balle est désormais dans le camp des pouvoirs publics de notre pays et des donneurs d’ordres notamment des collectivités régionales et locales : soutiendront-ils un acteur français de la mobilité hydrogène pour développer la filière nationale, même sous capitaux chinois, ou céderont-ils aux sirènes des géants mieux armés qui bénéficieront par exemple pour IVECO du soutien de l’État italien ?
Car on peut toujours verser des larmes de crocodiles sur le rachat de Safra par un consortium chinois comme l’on fait la plupart des responsables politiques qui pour beaucoup par leurs décisions ont affaibli notre industrie nationale, ceux qui préconisent que la Safra abandonne l’innovation avec l’hydrogène pour se recentrer uniquement sur la réparation abandonnent en fait le combat pour le développement d’une véritable filière nationale de l’hydrogène.
Si l’on veut à terme créer des emplois, ce n’est pas en appauvrissant les investissements pour l’innovation et ceux dans la Recherche & Développement qu’on y parviendra. C’est au contraire en agissant pour que l’État investisse dans la filière et agisse pour une planification des actions qui permettront de la renforcer face à la concurrence européenne et mondiale en concertation avec les industriels mais aussi les représentants des salariés.
Le consortium chinois Wanrun ayant désormais une implantation sur notre territoire, il y a peut-être également une piste pour que le gouvernement français, accompagné des professionnels de la filière, négocie et coopère avec le gouvernement chinois pour des ouvertures de marché en Chine, mais aussi en direction des autres pays dont la Chine est partenaire.