En avril 2025, il annonçait en grande pompe le rachat de deux entreprises européennes – l’agence française SPEAK33 et l’italienne Sales Performance – pour muscler son pôle marketing digital. Objectif affiché : déployer à grande échelle une nouvelle génération d’IA capable de remplacer des agents, apte à révolutionner la manière dont les entreprises interagissent avec leurs clients.
Dans son discours résolument tourné vers l’innovation, Konecta se présente comme une entreprise du futur, investissant massivement dans l’intelligence artificielle, l’automatisation des campagnes, l’optimisation des parcours clients. Le plan stratégique « Katalyst 2028 » ambitionne d’atteindre 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires grâce à l’intelligence artificielle censée opérer comme des agents humains et aux solutions digitales autonomes.
Mais derrière cette vitrine technologique, une autre réalité se dessine. Une réalité faite de grèves, de souffrance au travail et de précarité silencieuse. À Carmaux, dans le Tarn, et au Mans, les salariés des centres d’appel Konecta se mobilisent depuis plusieurs semaines pour dénoncer une détérioration brutale de leurs conditions de travail. Plannings instables, salaires bloqués au SMIC, objectifs inatteignables, pression constante : le quotidien est devenu insupportable pour de nombreux agents.
L’envers du décor
Ce contraste n’est pas un hasard. Il est le produit direct d’un modèle stratégique piloté par des fonds d’investissement qui possèdent Konecta. Leur logique est implacable : racheter, restructurer, rentabiliser, revendre pour que ça rapporte aux actionnaires. Dans ce modèle, les investissements dans l’IA et les acquisitions européennes ne visent pas seulement l’innovation : ils permettent surtout de réduire la masse salariale en automatisant les tâches humaines et en déplaçant la valeur vers des services à plus forte marge.
Ainsi, pendant qu’on célèbre les capacités de l’IA dans ses dernières prouesses dans les salons parisiens ou milanais, les salariés français des centres d’appels voient leur travail dévalorisé, leurs conditions se dégrader, et leur avenir se rétrécir. L’autonomie algorithmique vantée par la direction ne s’accompagne pas d’une reconnaissance humaine. Pire : elle justifie la pression, la surveillance et l’effacement progressif du dialogue social selon les syndicats.
Une logique financière avant tout
Ce qui se joue à Carmaux et au Mans dépasse le cas de Konecta. C’est la question du pouvoir des fonds d’investissement dans la vie des entreprises. Quand les décisions se prennent à Londres sur les places financières loin du travail des hommes, à l’aune d’indicateurs financiers, sans tenir compte de la réalité des métiers ni des territoires, le grand capital utilise les nouvelles technologies comme outils de domination et de renforcement de l’exploitation des salariés.
La technologie qui pourrait être un levier d’émancipation en allégeant la peine des travailleurs devient ici un moyen de contrôle et de compression des dépenses pourtant nécessaires au développement des hommes, de leur formation, de leurs salaires et surtout de leur dignité.
Il ne s’agit pas de rejeter l’IA ni l’innovation. Mais de poser une exigence claire : la révolution numérique ne peut se faire au prix de la dignité humaine. Une entreprise qui investit dans le futur pour ses clients doit aussi investir dans le présent de ses salariés. Sinon, elle construit un édifice qui n’est qu’un centre de profit pour capitalistes richissimes mais où la performance boursière masque la souffrance, et où le progrès technologique rime avec régression sociale.
La multiplication de ce type d’entreprises qui surexploitent les travailleurs est un phénomène de plus en plus important dans notre société et en affaiblit gravement sa cohésion et ses capacités productives.