Tous les chemins mènent à Rome. Cette expression illustre toute l’importance du commerce dans la puissance, et ce, depuis toujours. Les routes de la soie d’hier et d’aujourd’hui en sont un autre exemple frappant. Le commerce international a toujours été un enjeu de puissance et l’objet de toutes les attentions des gouvernants, mais il faudra attendre les Lumières et le XVIIIᵉ siècle naissant pour voir théorisées les méthodes d’optimisation de celui-ci.
Jusqu’ici, le mercantilisme dominait, il fallait exporter plus que son voisin pour capter l’or. Mais avec les travaux de Smith et Ricardo d’un côté et l’avènement de la Révolution Industrielle de l’autre, le Royaume-Uni a enclenché dès 1846 une vague mondiale de libre-échangisme avec l’abrogation des lois sur l’export de céréales. C’est donc à la fois un phénomène très récent dans l’histoire, mais également un instrument de puissance à l’international.
La Révolution ricardienne
La thèse qui sous-tend le modèle libre-échangiste est celle des avantages comparatifs, modélisée pour la première fois par David Ricardo, un économiste Anglais, en 1817. En substance, chaque nation dispose d’au moins un bien qu’elle sait produire à moindre coût, elle est donc avantagée comparativement. Ricardo propose ainsi de se focaliser sur ces marchandises pour les exporter, tout en important celles produites à moindre coût à l’étranger.
C’est sur ces bases que continue de prospérer l’idée du libre-échange telle qu’elle a été mise en œuvre dans le projet européen, mais également au niveau mondial avec la multiplication des accords de libre-échange comme le CETA plus récemment.
Limites du modèle
L’une des principales critiques opposée au modèle tient à l’asymétrie dans les échanges entre des industries naissantes et une économie pleinement développée ou aux liens entre des économies en voie de développement cantonnées à l’export de matières premières brutes et les anciennes métropoles coloniales qui ont un avantage net sur les produits manufacturés.
Mais par son fonctionnement même, à savoir la réduction des freins à la concurrence tels que les droits de douanes et les droits sociaux, le libre-échange a également tiré les droits des travailleurs vers le bas dans tous les pays. Pour certains économistes, comme Maurice Allais, le libre-échange n’a de sens que pour des ensembles économiques homogènes, aux conditions de production similaires. L’élargissement doit se faire progressivement aux acteurs extérieurs, sans quoi, il ne consiste plus qu’en un dumping social doublé d’une désindustrialisation massive.
Le libre-échange, un totem idéologique
En conclusion, la course à la dérégulation, portée par des organismes supranationaux comme l’OMC, le FMI ou la Banque mondiale, ainsi que le lobbying intense des libéraux à l’échelle mondiale, repose principalement sur l’intime conviction que la concurrence libre et non faussée permettra des gains de productivité et de richesse. Ce postulat, érigé en totem, conduit toutes les politiques publiques depuis les années 1990 et la construction européenne depuis ses débuts.
Or, comme l’économiste Paul Bairoch le rappelle : « c’est la croissance économique qui est le moteur du commerce extérieur et non l’inverse ». Le libre-échange sans politique productive ne conduit dès lors qu’à accélérer une spirale déflationniste et de dumping social.