Une ambition de souveraineté contrariée par les failles d’un système éducatif en crise et une vision à court terme.
Un déficit de compétences criant
D’ici à 2030, l’industrie américaine des semi-conducteurs prévoit de créer 115 000 emplois supplémentaires, pour atteindre 460 000 postes. Mais selon Oxford Economics, 67 000 de ces emplois risquent de rester vacants, dont 27 300 ingénieurs et 26 400 techniciens spécialisés. D’autres estimations évoquent un besoin total de 300 000 professionnels qualifiés. Cette pénurie est déjà palpable : TSMC, qui construit deux usines en Arizona pour 40 milliards de dollars, a dû reporter l’ouverture de sa première unité à 2025, faute de personnel compétent. L’entreprise a même fait venir 500 techniciens taïwanais, provoquant des tensions avec les syndicats.
Ce déficit de compétences trouve sa source dans un système éducatif affaibli : peu d’universités proposent des cursus spécialisés en génie des semi-conducteurs, et les formations existantes ne couvrent pas l’ensemble des savoir-faire requis, de la science des matériaux à la maîtrise des salles blanches. Or, 80 % des postes vacants concernent des ingénieurs et des techniciens nécessitant une formation post-secondaire. Le système actuel ne forme tout simplement pas assez de diplômés dans ces domaines critiques.
Des infrastructures à reconstruire
Une usine de semi-conducteurs moderne exige des conditions extrêmes : salles blanches ISO 1, eau ultra-pure, réseau électrique ultra-stable, chaîne logistique complexe. Après des décennies de désindustrialisation, beaucoup de sites américains ne répondent plus à ces standards.
À Phoenix, TSMC a dû faire appel à des experts taïwanais pour l’installation de ses équipements. Par ailleurs, certains matériaux clés, comme le néon purifié ou les terres rares, restent largement contrôlés par la Chine, rendant l’autonomie illusoire.
Enfin, produire aux États-Unis coûte 30 à 50 % plus cher qu’en Asie, imposant des subventions permanentes. Mais ce sont surtout les contradictions internes du modèle américain qui freinent ce projet : un système éducatif sous-financé, une formation technique dévalorisée, une vision stratégique émiettée. La relocalisation des semi-conducteurs devient alors le miroir d’une Amérique qui rêve encore de puissance, mais sacrifie le capital humain sur l’autel du court-termisme du profit.