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Dette

L’exemple grec et la menace contre la France

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Mise à jour le 10 janvier 2025
Temps de lecture : 8 minutes

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Finance Grèce

À la fin novembre, une série d’articles et de commentaires ont insisté lourdement sur l’évolution des taux des dettes d’État de la France et de la Grèce. Libération titrait « Taux d’intérêts de la dette : la France risque-t-elle vraiment un scénario pire que la Grèce  ?  », Les Echos pointaient « En France, une dette de moins en moins soutenable ».

Depuis quelques mois en effet, les mêmes médias qui avaient dans les années 2010 pourfendu la Grèce « vivant au-dessus de ses moyens grâce à l’argent des européens » la citent volontiers en exemple. L’Express expliquait ainsi en mars dernier que « C’est le petit miracle économique qu’aucun analyste n’aurait prédit il y a dix ans. Les réformes difficiles entamées par Athènes commencent à porter leurs fruits…  ». Ce sont les agences de notation financières qui, à nouveau, ont ouvert le bal des commentaires : en 2009, c’est l’agence européenne Fitch qui avait ouvert la crise grecque en déclarant la dette d’État « spéculative ». En 2023, l’agence états-unienne Standard & Poor’s sort officiellement la Grèce du « purgatoire financier  » (selon le journal Les Echos) en classant la dette « investissement ».

La Grèce va-t-elle réellement mieux qu’en 2010  ? Ce n’est pas l’avis de l’ancien ministre grec de l’Économie, Yánis Varoufákis, qui expliquait en 2021 à l’Humanité : « Souvenez-vous de 2010 : la Grèce faisait la une de tous les journaux d’Europe en raison de ses problèmes d’endettement. Aujourd’hui, cette crise a disparu des médias. Pourquoi ? Nous avons plus de dette en Grèce aujourd’hui qu’à cette époque. La seule raison pour laquelle vous n’en entendez plus parler, c’est parce que la troïka (Commission européenne, BCE et FMI – NDLR) et l’Eurogroupe ont décidé que ce n’était plus un problème ! À présent, la BCE achète de la dette grecque sur les marchés et tout est rentré dans l’ordre. »

Le vrai bilan des plans d’ajustement grec

Voici la réalité des résultats économiques de la Grèce durant ces années de crise et de « sortie de crise » :

Année Dette Dette par habitant Dette en % du PIB Production par habitant (PIB) Évènement
2008 181 Md € 16 338 € 110 % 21 550 € Début de la crise financière aux USA
2011 255 Md € 23 045 € 175 % 18 320 € 1ᵉʳ plan d’ajustement imposé à la Grèce
2019 295 Md € 27 587 € 180 % 17 270 € Avant Covid
2023 337 Md € 32 541 € 162 % 21 350 € Sortie des plans d’ajustement

Source : DonnéesMondiales

Le bilan est simple :
  1. La dette par habitant a doublé entre 2008 et 2023 et elle n’a cessé d’augmenter tout au long de ces années
  2. Le produit intérieur brut par habitant n’est même pas revenu en 2023 à son niveau de 2008, faisant de la Grèce l’avant-dernier pays de l’UE
  3. La dette en % du PIB avoisine encore en 2023 les 160 % du PIB alors qu’elle n’était qu’à 110 % en 2008
À qui ont profité les plans d’ajustement de la Grèce ?

Comme le souligne (parmi d’autres) Yanis Varoufakis, le processus dans laquelle la Grèce a été enfermé n’a rien d’économiquement rationnel. Il ne vise pas à « améliorer la situation économique du pays » et n’a en rien sorti le pays de la « spirale de la dette ». Tel n’était pas en réalité l’objectif. Ce fut un processus politique, décidé pour de toutes autres raisons par les institutions dominantes de la finance et de la politique occidentale : la BCE, la Commission Européenne et le FMI.

Au sortir de la crise financière de 2008, les banques et le système financier sont en grande fragilité. Des centaines de milliards d’euros et de dollars d’obligations pourries, de dettes plombent les bilans des principales banques européennes et c’est l’ensemble du système bancaire européen qui est en difficulté. Le ministère de l’Économie français, sur son site « pédagogique » Faciléco explique ainsi la crise de la dette qui a frappé l’UE en 2010 - 2012 : la crise des subprimes (prêts immobiliers douteux aux USA) « a provoqué des pertes dans les banques (...). Les États ont dû aider les banques, d’où des déficits publics plus importants. Ces effets négatifs se sont répandus dans plusieurs États européens, créant ainsi un véritable phénomène de contagion. De plus, les différents plans de sauvetage mis en place et se révélant inefficaces ont créé un doute, ce qui aggrave la situation. »

Tous les grands pays capitalistes ont été confrontés à cette situation face à la crise de 2008 qui avait frappé massivement le centre financier global, les USA. Les USA, le Japon, la Grande-Bretagne et l’UE ont pris en charge les pertes des banques, injectant des milliers de milliards d’euros, de yens, de livres et de dollars dans le système financier en faillite. Les capacités d’endettement des États atteignant leurs limites, il fallut recourir à l’intervention des banques centrales qui, contrairement à ce que l’orthodoxie néo-libérale prônait depuis des années, se sont mises à racheter massivement de la dette d’État sur les marchés. Les économistes bourgeois ont appelé cela du nom le plus neutre et incompréhensible possible : politiques « d’assouplissement quantitatif  ». Plus direct, le président de la Réserve Fédérale, la banque centrale états-unienne, a parlé d’ « argent hélicoptère ».

Dans l’UE, cela posait un problème politique et juridique : ce rachat de dette était contraire aux traités et aux statuts de la BCE. Il fallait donc créer un problème politique encore plus important pour détourner l’attention, violer les statuts et justifier les mesures attendues par le système financier européen. On a donc sacrifié la Grèce. Alors que les Banques Centrales européennes détenaient seulement une part symbolique de la dette de leurs États respectifs en 2007 (2 %), ce pourcentage est passé à 21 % en 2022. Au passage, on a largement privatisé (certains ont rêvé de racheter des splendides îles), réduit les salaires, les pensions et fait de juteux bénéfices sur le dos des travailleurs grecs. Surtout, les banques européennes ont pu être sauvées.

La crise grecque révèle que la dette d’État peut être un puissant outil politique, dans les mains du système financier, du capital et des trusts qui dominent les échanges. En refusant de souscrire aux appels de fonds, on fait monter les taux, asphyxiant le gouvernement et mettant la pression pour obtenir les décisions politiques souhaitées. Nous allons voir, dans de prochains articles, que la crise grecque n’est pas un cas isolé, que son évocation actuelle à l’encontre de la France est une réelle tentative d’intimidation avant de rentrer, en nous appuyant sur les écrits de Marx, plus en détail dans ce phénomène particulier du capitalisme que sont les dettes d’état pour tracer une perspective d’émancipation.

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