Après l’annonce de la création de gigafactories, ces très grandes usines dédiées à la production de batteries pour voitures électriques et qui créeraient des dizaines de milliers d’emplois, l’heure est à celle des data centers. Ces centres de données (réseaux d’ordinateurs et espaces de stockage informatique) placeraient la France aux premiers rangs des nations développant nos capacités informatiques et notamment l’Intelligence artificielle (IA).
Que peut-on attendre du développement de ces data centers à travers la France et l’Europe ? Tout si le développement de la recherche en informatique vise à améliorer les conditions de vie et de travail ; tout si la production des matériels réintègre, au moins partiellement, la France et l’Europe. Mais pas grand-chose si les investissements ne servent qu’à faire exploser la productivité et le taux de profit sans que son but vise un bénéfice pour les salariés et la population.
Les forces qui vont investir
Or, quelles sont les forces qui vont investir en France les 109 milliards d’euros annoncés par Emmanuel Macron ?
D’abord les Émirats arabes unis pour 30 et 50 milliards dans la construction du plus grand data center d’Europe, intégré dans un campus axé sur l’IA. Ensuite, le fonds d’investissement canadien Brookfield pour 20 milliards d’euros avec un méga-projet à Cambrai (Nord). D’autres encore comme Amazon pour 1,2 milliard, Accenture, leader mondial de services d’accroissement des profits ; les fonds spéculatifs new-yorkais Apollo Global Management pour 5 milliards ou Prologis, de San Francisco, pour 3,5 milliards. Et quelques spécialistes de l’informatique comme les américains Digital Realty et Microsoft, ou plus modestement le britannique Fluidstack, le Japonais Telehouse, le Suédois Evroc…
Seuls Français d’envergure dans le projet global : Iliad, le groupe de télécommunication de Xavier Niel (Free) et la start-up Mistral AI qui investira plusieurs milliards dans son propre centre de données en France. Cette dernière est fondée et dirigée par des chercheurs de l’intelligence artificielle. Idem pour la startup marseillaise Sesterce avec un modeste 400 millions. EDF s’engage aussi, mais pour l’accueil de centres de données de l’IA sur six sites déjà équipés.
Autre investisseur français, Data4, entreprise de placements immobiliers pour 15 milliards.
Comme on le voit, la majorité des fonds est spéculative.
25 % des emplois européens impactés
On se serait attendu à ce que l’État français investisse ou élabore des garanties pour la pérennité des investissements et la création d’emplois.
Or, les Émirats, qui sont pour 40 % de l’ensemble des investissements, annoncent sans certitudes un timide 750 emplois.
En extrapolant à l’ensemble des 109 milliards, on est donc loin de créer des milliers d’emplois. En revanche, l’apport de l’IA risque fort d’impacter les emplois existants.
Une étude récente de la BCE montre qu’environ 25 % de tous les emplois dans les pays européens concernent des métiers fortement exposés à l’automatisation liée à l’IA. Mais elle précise que « le degré d’exposition constitue autant une opportunité qu’un risque ». Pour certains emplois, tout dépendra de la capacité des technologies basées sur l’IA à remplacer la main-d’œuvre ou à compléter son apport.
Changer de logique
Comme la finalité annoncée de l’IA par la majorité des investisseurs est l’accroissement de la productivité, on peut donc s’attendre à l’accroissement d’un nouveau cycle de création, de destruction et de restructuration des activités économiques.
Les économistes capitalistes pronostiquent un accroissement de 10 % à 20 % de la productivité par l’IA qui modifierait la nature de 25 % de tous les emplois en Europe. Cette fois, ce ne sont plus seulement les travailleurs les moins bien rémunérés qui seraient touchés, mais aussi de nombreuses professions parmi les mieux rétribuées.
Ceci sans même traiter des questions éthiques posées par l’intrusion de l’IA dans tous les domaines de notre vie, professionnelle, sociale et intime. À moins de changer de logique, donc de système.