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Dossier

Renault et la Russie, je t’aime moi non plus

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Mise à jour le 17 octobre 2025
Temps de lecture : 8 minutes

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Automobile Russie Renault Longs formats

De leader du marché russe à potentiel fabricant de drones pour l’armée ukrainienne, Renault adopte une stratégie qui pourrait l’éloigner durablement de l’Est du continent. Avant 2022, la Russie était son deuxième débouché mondial derrière l’Europe, avec près de 500 000 véhicules vendus en 2021, soit presque la moitié du résultat opérationnel automobile du groupe. Une présence aujourd’hui suspendue, sans certitude de retour.

En l’espace de quelques mois, le constructeur a dû renoncer à deux décennies d’investissements et à un marché devenu vital pour sa rentabilité. Retour sur une implantation exemplaire… et sur une sortie tout aussi spectaculaire.

Numéro 1 en Russie avant un départ précipité

Pour comprendre les hésitations du groupe, il faut avoir en tête ce que représente la Russie pour lui. Présent sur ce marché depuis le début du XXe siècle, Renault a profité des années 1990 pour s’imposer dans un secteur automobile laissé à la merci des sociétés étrangères par l’administration Eltsine.

À partir de 2008, Renault reprend progressivement AvtoVAZ, le premier constructeur du pays (ex-Lada). La filiale Avtoframos est rebaptisée « Renault Russie » en 2014, après une montée au capital qui atteint 100 % en 2012. En quelques années, le français détient 67,69 % d’AvtoVAZ, avant la cession de 2022. Par le biais de Lada, Renault devient le constructeur étranger le plus engagé en Russie en termes d’investissements et de volumes, devant même Volkswagen et Hyundai. Plus d’un quart du marché des voitures particulières et utilitaires était entre ses mains.

La double présence du groupe – Lada et ses propres modèles – le rend incontournable sur tous les segments clés du marché russe. Une implantation qui ferait pâlir plus d’un, avec près de 45 000 travailleurs en 2022, répartis entre ses activités propres (usine de Moscou, filiale Renault Russie) et AvtoVAZ (site de Togliatti). Renault était tout simplement l’un des plus gros employeurs industriels du pays.

Production, usines et modèles
Usine Renault Moscou-Avtoframos Usine AvtoVAZ Togliatti
Site majeur, capacité doublée en 2010 à 160 000 voitures/an Plus grande d’Europe, modernisée grâce aux investissements et au transfert de technologie Renault
Modèles produits sous la marque Renault Modèles produits sous la marque Lada
Symbol, Logan, Sandero, Duster, Mégane, Fluence Larges gammes, dont Lada Vesta et Granta

Cette « force de frappe » assurait à Renault un marché stable et prometteur, tant la situation économique du pays s’améliorait au fil des ans. Avant son retrait début 2022, le groupe vendait près d’un demi-million de véhicules en Russie, soit environ un quart des ventes de voitures neuves dans le pays.

Même importance sur le plan financier : en 2021, les activités russes ont généré un chiffre d’affaires estimé entre 3 et 4 milliards d’euros. La Russie était le deuxième marché mondial du groupe derrière la France, pesant pour près de la moitié de son résultat opérationnel automobile.

Renault investissait chaque année près de 220 millions d’euros pour moderniser la production d’AvtoVAZ. Avant 2022, les modèles Lada comportaient près de 20 % de composants importés, principalement issus du groupe Renault, mais la conception, l’ingénierie et la fabrication finale restaient très intégrées localement. S’y ajoutait un réseau de plus de 300 concessionnaires Renault/Lada sur l’ensemble du territoire.

Un retrait complet en quelques mois à peine

Le 24 mars 2022, sous la pression des sanctions européennes et des appels au boycott, Renault annonce la « suspension immédiate » de ses activités en Russie. La production de la gigantesque usine de Moscou est stoppée. À peine deux mois plus tard, le 16 mai, la société officialise la cession de 100 % des parts de « Renault Russie » à la mairie de Moscou, ainsi que ses 67,7 % d’AvtoVAZ à NAMI (l’institut public de recherche automobile) pour un rouble symbolique.

Ne voulant pas perdre définitivement sa place sur le marché russe, le constructeur négocie une option de rachat sur six ans pour AvtoVAZ, lui permettant un retour potentiel « si les conditions géopolitiques le permettent », mais sans garantie. Concrètement, Renault pourrait revenir – au moins partiellement – au capital d’AvtoVAZ avant 2028 et, dans l’intervalle, NAMI ne peut céder l’entreprise à un autre constructeur, russe ou étranger.

Cette sortie a toutefois coûté cher : près de 10 % du chiffre d’affaires, soit 3 à 4 milliards d’euros annuels avant la crise, et une dépréciation d’actifs de 2,2 milliards dans les résultats 2022. L’écosystème industriel bâti en deux décennies – usines et ingénierie – est passé sous contrôle public russe. On comprend mieux pourquoi la marque au losange « lorgne sur la Russie pour redevenir numéro un… après la guerre », comme le titraient nos confrères de La Tribune le 20 septembre 2025.

Vers la fabrication de drones pour l’armée ukrainienne ?

Comble de l’histoire, le constructeur qui espère revenir dans le pays de Pouchkine se retrouve, dans le même temps, au cœur des ambitions de la Direction générale de l’armement (DGA) et du ministère des Armées, alors dirigé par Sébastien Lecornu, désormais Premier ministre.

Cet été, le ministère a laissé entendre qu’il envisageait « un partenariat complètement inédit où une grande entreprise produisant des voitures françaises [pourrait] s’allier avec une PME de la défense française pour armer des lignes de production en Ukraine ». Une démarche confirmée par le constructeur, qui précise que « des échanges ont eu lieu, mais qu’aucune décision n’est prise à ce stade ». Les syndicats sont montés au créneau, après avoir été interpellés par de nombreux travailleurs avec une idée simple : « On a signé pour fabriquer des voitures et pas des armes. »

Le 24 septembre 2025, les salariés découvrent au petit matin une « note confidentielle » sur l’intranet de Renault. « Un document Word de deux petites pages […] intitulé “L’expertise industrielle de Renault Group au service de la souveraineté nationale” », précisent nos confrères de L’Usine Nouvelle qui ont pu se le procurer.

Si rien n’est acté, le groupe y confirme qu’il « étudie la possibilité de mettre son savoir-faire industriel au service de projets de défense » et qu’un tel projet aurait « un impact positif sur l’activité de nos sites français ». La direction se veut rassurante : il n’est pas question de « devenir un acteur majeur de la défense ».

Pour ajouter un peu de piment, le groupe n’abandonne pas pour autant ses velléités à l’égard du marché russe. En octobre 2024, il a déposé une demande d’enregistrement de la marque « Reno » dans le pays, correspondant à la prononciation russe de « Renault » (phonétiquement « Рено »). Une demande rejetée par les autorités dès avril 2025.

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