Fonderie de Bretagne et Valdunes en France, Volkswagen et Tesla à l’étranger ; les ambitions paraissent sans limites. Le plan ReArm Europe à 800 milliards d’euros s’occupe du reste. En pratique, l’industrie ne fonctionne pas comme un jeu de société. Cette somme astronomique ne semble pour l’instant servir qu’à perfuser un secteur en difficulté, sous couvert de discours sécuritaires.
À lire aussi : Europlasma se positionne pour reprendre la Fonderie de Bretagne
Presses, aciers spéciaux : l’industrie ne s’improvise pas
Une fois passé le verbiage, est-ce si simple d’orienter, par exemple, l’industrie automobile – qui est en crise structurelle – vers la défense ? Prenons des exemples concrets.
La presse d’emboutissage est fondamentale dans la filière. Elle sert à emboutir de grandes pièces de carrosserie (capots, portières, châssis) en acier ou en aluminium. Elle fonctionne en cadence rapide (une pièce toutes les quelques secondes), optimisée pour des tôles fines de 0,8 à 1,2 mm d’épaisseur. Mais dans l’armement, les blindages nécessitent des aciers spéciaux de 15 à 50 mm d’épaisseur, travaillés sur des presses hydrauliques ultra-puissantes capables de générer plusieurs milliers de tonnes de pression. Rien à voir avec les presses mécaniques haute cadence utilisées dans l’automobile.
Autre problème, les pièces automobiles (moteurs, boîtes de vitesses, châssis) sont produites en grande série avec des tolérances de l’ordre du centième de millimètre, mais l’armement demande souvent des tolérances plus strictes (micron) et des matériaux bien plus difficiles à usiner (titane, Inconel, aciers traités). Un canon de char Leclerc doit par exemple être usiné dans un acier trempé spécifique. Cela nécessite des tours à banc long, capables de travailler sur des pièces de plusieurs mètres avec des tolérances micrométriques, un équipement inexistant dans l’industrie automobile, où l’on usine principalement des pièces de taille réduite.
Mais avant tout cela, faut-il encore produire de l’acier, produire les machines elles-mêmes, sans invoquer les savoir-faire et les chaînes d’approvisionnement.
La guerre ne sauvera pas l’industrie
D’après les chiffres compilés cette semaine par nos confrères de L’Usine Nouvelle, les constructeurs ont réduit leur production de presque 150 000 véhicules en 2024 dans l’Hexagone. La production auto a donc chuté de 10 % en France l’année dernière. Les plans de licenciement et les « restructurations » sont tombés en cascade.
Avant même l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les projets de nouvelle industrialisation prenaient l’eau, faute de planification et d’étude sérieuse sur les logiques économiques. L’industrie des batteries en est un triste exemple. Paul-François Fournier, directeur exécutif chargé de l’innovation à Bpifrance, déclarait ainsi à L’Usine Nouvelle le 25 mars 2025 que nous « avons sous-estimé le savoir-faire accumulé par les Chinois dans les batteries en vingt ans. (...) On se heurte à un vrai coût d’apprentissage et de savoir-faire, qu’on avait peut-être sous-estimé. »
Bien plus qu’une question de financement, l’industrie repose sur des décennies de savoir-faire et d’infrastructures spécifiques. L’échec prévisible de la conversion des usines civiles vers l’armement en est une nouvelle illustration.