En remettant au goût du jour l’intégration verticale, les entreprises chinoises ont pris de court les vieilles firmes européennes empêtrées dans leurs contradictions. Pas de sous-traitance à outrance, pas de pression actionnariale court-termiste, mais une stratégie méthodique, nationale et industrielle, qui leur a permis de dominer cette nouvelle ère de l’industrie automobile.
Comprendre la divergence stratégique
Concrètement, les constructeurs occidentaux assemblent des véhicules, signent des partenariats tous azimuts, « partagent des plateformes », font jouer la concurrence entre fournisseurs… Résultat : des usines légères, pensées pour des profits rapides… et une dépendance totale à la chaîne mondiale pour tout ce qui compte vraiment : batteries, électronique, software, matières premières. Bref, des chefs d’orchestre… sans les instruments.
À l’inverse, les Chinois avancent comme des rouleaux compresseurs. Leur objectif ? Tout faire de A à Z : extraire le lithium, fabriquer la cellule de batterie, concevoir la puce, écrire le code, construire les machines-outils… et vendre la voiture au bout de la chaîne sans dépendre de personne. Ça coûte cher, mais ça verrouille la valeur, ça sécurise l’approvisionnement, et ça donne un avantage de vitesse écrasant. C’est ce qu’on appelle l’intégration verticale.
Le nouveau géant chinois, BYD, fabrique tout lui-même, depuis la chimie de la batterie (lithium-fer-phosphate), les cellules, les moteurs électriques, les puces électroniques, jusqu’au système d’exploitation embarqué. Le constructeur produit aussi ses propres systèmes de freinage, onduleurs, convertisseurs de puissance, carrosseries et même les métaux et plastiques industriels qui servent à fabriquer les pièces structurelles. Il va jusqu’à prendre des participations dans les mines de lithium afin de sécuriser l’amont.
Stellantis offre une nouvelle réponse
A priori, Stellantis incarne l’exact inverse de cette stratégie. Plutôt que de se concentrer sur sa propre chaîne de valeur — c’est-à-dire toutes les étapes nécessaires à la production d’une voiture — le groupe mise sur un portefeuille de marques. C’est ce qu’on appelle l’intégration horizontale.
Le groupe s’étend en largeur. Il rapproche Peugeot, Fiat, Opel, Jeep, Chrysler ou Citroën pour mutualiser ses usines, vendre plus de véhicules, partager ses coûts fixes, mais laisse la production des composants critiques à des fournisseurs externes. Plutôt que de « produire plus soi-même », Stellantis préfère « être plus gros dans l’assemblage » — en mettant en commun ses outils avec d’autres marques, en achetant ses technologies à des partenaires, et en jouant sur l’échelle et le volume pour peser sur le marché.
Mais face à ses difficultés industrielles et financières, le groupe semble peu à peu changer de cap. Son nouveau PDG, Antonio Filosa, a réaffirmé en juillet dernier qu’il misait toujours sur l’intégration horizontale pour rivaliser avec les groupes chinois. Pourtant, dans le même temps, il compte profiter de l’intégration verticale de Leapmotor — nouveau mastodonte chinois de l’automobile — via leur coentreprise.
Ainsi, on peut lire noir sur blanc, dans un rapport publié par Stellantis, l’ambition d’exploiter « l’ingénierie, l’innovation et l’intégration verticale de la Chine pour offrir une mobilité électrique abordable dans le monde entier ».
Le consortium joue donc sur « les deux tableaux ». Une tentative inédite de combiner les avantages de l’intégration horizontale (diversification des risques, pression sur les prix des fournisseurs) avec ceux de l’intégration verticale (contrôle des coûts, innovation technologique) en s’appuyant sur l’expertise chinoise sans l’imiter directement.
Par la même occasion, Stellantis obtient l’accès aux outils informatiques de Leapmotor, et donc, à terme, à sa technologie de conduite autonome.
Dernier pavé dans la mare : Arnaud Deboeuf, directeur de la fabrication chez Stellantis, annonçait l’année dernière que la firme pouvait « produire en interne » et qu’elle allait « concurrencer les fournisseurs pour s’assurer d’obtenir le meilleur coût ».
Une preuve supplémentaire, s’il en fallait, qu’une nouvelle ère de l’industrie automobile est d’ores et déjà ouverte et que ce ne sont pas les Européens qui mènent la danse.