Le 7 janvier, Mark Zuckerberg a annoncé l’arrivée de nouvelles personnes au conseil d’administration de Meta, l’entreprise américaine propriétaire de Facebook, Instagram et WhatsApp. Parmi elles se trouve John Elkann.
La fin de Fiat, la sortie de l’automobile
John Elkann est l’héritier direct de la famille Agnelli, la famille qui a fondé la Fabbrica Italiana Auto Torino, Fiat. Au plus fort du développement de cette entreprise, à la fin des années 1960, plus de 150 000 ouvriers travaillaient pour eux et elle produisait à elle seule 5 % du PIB de l’Italie. La grève de 40 jours des ouvriers de Fiat en 1980, avec l’occupation de l’usine (soutenue par le Parti communiste italien et le monde associatif qu’il avait construit) a touché tout le pays, et pas seulement ceux qui y travaillaient directement.
Cette image se heurte à la réalité actuelle. La famille a œuvré au fil des décennies pour diminuer de plus en plus sa présence dans l’automobile. Aujourd’hui, Fiat, intégrée à Stellantis, emploie une fraction des travailleurs qu’elle employait autrefois. Le siège social a été déplacé en Hollande pour éviter les impôts. La désindustrialisation a frappé Turin et sa région, autrefois cœur industriel de l’Italie. Fiat a également quitté la Confindustria, le Medef italien, il y a 15 ans.
Entre temps, Exor, l’entreprise financière de la famille Agnelli, a investi dans les banques, les assurances et surtout dans la communication, en rachetant le groupe Gedi, qui possède le deuxième groupe d’information italien, Repubblica.
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Mais aujourd’hui, la lutte politique intéresse de moins en moins la famille (puisqu’elle porte de moins en moins d’intérêts à l’Italie). Ces entreprises de communications sont donc, elles aussi, progressivement démantelées et les journalistes voient devant eux le sort qui a été réservé aux ouvriers de l’usine Fiat.
La finance au lieu de la production
La parabole d’Elkann comporte deux messages. Le premier est l’abandon progressif de la production par les capitalistes européens. La production implique l’inventivité, la recherche, l’engagement de capitaux et l’investissement à long terme. La finance, en revanche, n’a pas besoin de tout cela : l’argent peut être déplacé d’un endroit à l’autre en un clic. Il n’y a pas de grèves qui arrêtent la production, il n’y a pas d’obligations à long terme. Il n’y a que de l’argent qui arrive. De l’argent, sans besoin de travailleurs. La finance au lieu de la production.
L’entrée dans Meta est un signe clair de l’abandon de la production au profit d’une entreprise qui produit des choses immatérielles, de la communication, pas des voitures, et qui a le pouvoir (comme on nous le rappelle à chaque élection) d’influencer les choix des peuples.
Un grand pouvoir, qui produit beaucoup d’argent, sans effort et sans « lutte des classes » dangereuse. C’est la dernière étape après le démantèlement de la présence de la communication avec le groupe Gedi, étape intermédiaire de la financiarisation.
Le deuxième message s’adresse aux travailleurs français : comme le disaient les latins, « de te fabula narratur » (C’est de toi que l’histoire parle). En fait, Elkann dirige maintenant aussi Stellantis, suite à la démission de Tavares. Il est à la tête d’une entreprise, dont il ne semble pas s’intéresser. Alors qu’il venait de rejoindre Meta, il a vendu l’une des entreprises les plus avancées du groupe, Comau, qui produit les robots pour les chaînes de production. L’argent obtenu servira à verser des dividendes aux actionnaires (c’est-à-dire aussi à lui), qui seront investis en bourse et dans d’autres activités similaires.
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S’il n’y a pas de réactions politiques et syndicales, les travailleurs français suivront le sort des travailleurs italiens et la France deviendra, elle aussi, un pays où l’on ne produit plus de voitures.
Elkann opère dans plusieurs pays, appliquant les mêmes recettes dans différents pays. Les travailleurs de Stellantis devraient faire de même. Est-ce que cette situation pourrait faire fleurir grèves et occupations des usines du groupe, unissant les travailleurs français et italiens ?