Réunion des chefs d’état-major à Paris et débat sur le nombre de centaines de milliards d’euros à investir dans l’armement en Europe, c’est la grande actualité du moment. Dans la réalité, l’industrie (civile et militaire) des pays européens – France en tête – est en berne et la dépendance aux États-Unis est toujours plus forte.
Deux fois plus d’importations en Europe
L’étude du SIPRI (Institut international indépendant de recherche sur les conflits et les armes situé à Stockholm) publiée le 10 mars dresse un état des lieux sans ambiguïté. « Les importations d’armes des pays européens membres de l’OTAN ont plus que doublé entre 2015-2019 et 2020-2024 (+105 %) », largement au profit de l’industrie militaire américaine. Jusqu’en 2019, les États-Unis fournissaient 52 % des armes importées en Europe, c’est désormais 64 %. En clair, les pays européens membres de l’OTAN importent deux fois plus d’armes et sont toujours plus dépendants des États-Unis.
L’Institut note sur ce point que « pour la première fois en deux décennies, la plus grande part des exportations d’armes américaines depuis 2020 a été destinée à l’Europe (35 %) plutôt qu’au Moyen-Orient (33 %) ». L’Ukraine est bien sûr devenue entre temps le premier importateur mondial d’armes majeures. Les États-Unis sont, de loin, son premier fournisseur d’armes, pesant pour 45 % de ses importations, loin devant l’Allemagne (12 %) et la Pologne (11 %). Pour sa part, la France a quasiment triplé ses ventes d’armes vers ses voisins immédiats.
Les rêves belliqueux d’une « Europe de la défense » qui pointerait en permanence « la menace de l’Est » s’écrase devant le mur de la réalité.
Industrie de défense
Rares sont les voix qui ne sont pas dans le déni. En tout état de cause, la question d’un réarmement – pour quelles visées politiques ? – sans Washington ne se pose pas. Selon les données les plus récentes disponibles, la part de l’industrie dans le PIB français est d’environ 13 % ; si l’on considère uniquement l’industrie manufacturière, sa part n’était que de 9,7 % en 2023, bien en dessous de la moyenne de l’Union européenne, qui était de 23,5 % en 2022.
En parallèle, Paris bat record sur record en matière d’exportations d’armes et se classe deuxième au classement mondial, derrière les États-Unis. Quelles conclusions tirer de ces chiffres a priori contradictoires ? Que l’équipement militaire est à l’image des visées politiques des dirigeants. La conception d’une défense nationale indépendante, qui a pour principe la défense « tous azimuts » (tournée contre tout le monde et personne en particulier) s’est pratiquement effacée au fil des décennies. Dans le même temps, c’est l’idée d’une armée professionnelle équipée d’un armement à haute valeur ajoutée destinée aux opérations extérieures qui a primé. La défaite annoncée d’une guerre industrielle, où la seule finance s’est trouvée gagnante.
Cette situation a des répercussions tout à fait concrètes dans le pays. Pensons aux Forges de Tarbes, l’unique usine française à fabriquer des corps creux pour obus de gros calibre, notamment pour les canons Caesar qui, en 2021, était en redressement judiciaire. Aujourd’hui, boostée par l’effort de guerre européen, l’entreprise embauche une grosse cinquantaine de salariés et augmente les cadences de travail, mais reste loin de répondre aux ambitions guerrières de certains dirigeants.
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Dernier exemple en date, la Fonderie de Bretagne, sous-traitant automobile qui est en redressement judiciaire depuis quelques mois. Même schéma que pour les Forges de Tarbes, l’offre de reprise soutenue par l’État est celle d’Europlasma. Le groupe français voudrait profiter de l’occasion pour tourner la production de l’usine bretonne vers la fabrication d’armement.