C’est la Bourgogne et la Franche-Comté, ces provinces françaises liées au Saint-Empire romain germanique dont les souverains, français et bourguignons, s’affrontèrent des siècles durant pour savoir qui régnerait sur les restes français de l’Empire de Charlemagne.
La Bourgogne-Franche-Comté d’aujourd’hui est héritière de cette histoire, tout comme le nord de Lyon, de Nantua (de l’Ain, en Auvergne-Rhône-Alpes) d’où s’élance le peloton.
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15 février :
Saint-Claude capitale de la pipe
Après une vingtaine de kilomètres, on entre dans le Jura par le Col de la Croix de la Serra à 1 049 mètres juste avant de redescendre par Saint-Claude. La commune (8 556 habitants) est mondialement connue comme la « capitale de la pipe ». Afin d’éviter l’humour graveleux, la ville célèbre son saint en juin plutôt que le lendemain de la Saint-Valentin. Ce qui ne l’empêche pas de célébrer, en mai, la fête des Soufflaculs. Une tradition moyenâgeuse qui consiste à expulser les mauvais esprits par où vous imaginez bien…
Le Jura c’est joli, ça propose des tas de goûteux produits comme le Comté et le Morbier, les vins AOC du Jura dont le Vin Jaune, le Crémant ou le Vin de Paille ; des paysages variés, boisés où les lynx, aigles, tétras-lyre et chamois vivent naturellement..
« B’sançon » et sa citadelle
Puis c’est le Doubs. Là aussi, on connaît : Mont d’or, Comté, Cancoillotte, Morbier, saucisses de Morteau et de Montbéliard, jambon fumé, absinthe, liqueur de sapin… Un pays à l’accent traînant (on est voisin de la Suisse) jusque dans sa Préfecture « B’sançon », dont la citadelle est classée au patrimoine mondial de l’Humanité.
Mais c’est à 36 kilomètres de là qu’on vous propose une vraie découverte. Arrivés à Salins-les-Bains (2 430 habitants), vous laissez les coureurs affronter la Côte de Thésy et ses 8,90 %. Ils tournent à droite ; vous tournez à gauche, et vous passez Salins jusque Mouchard -ça existe !- (1 094 habitants), puis à droite par la D121 jusque Arc-et-Senans (1 621 habitants). En 16 kilomètres, vous êtes passé du Jura dans le Doubs… et, quelque part, dans un autre monde.
La Saline royale, un Ovni social
En effet, en 1779, c’est un véritable Ovni économique et social qui ouvre avec la Saline royale d’Arc-et-Senans.
13 jours avant sa mort (le 10 mai 1774), Louis XV avait accepté le projet de création d’une manutention (établissement industriel) générale des salines dont l’exploitation serait confiée à un groupe privé pour 24 ans. Tout ce qui concernait le sel était alors monopole du royaume. L’architecte Claude-Nicolas Ledoux proposa un projet pharaonique, puis un autre plus modeste mais intégrant les locaux administratifs, les ateliers de production, la police du site et -nouveauté- les logements du directeur, des commis et surtout ceux des ouvriers. Un gigantesque cercle dont la moitié était consacrée à la production et, sur la bordure de l’autre, à des logements dotés de chambres, cuisine, buanderie, salle de bain, toilettes, eau courante… Chacun possédait également un jardin pour cultiver légumes et fruits.
Une révolution à l’époque. À Paris, les rues étaient toujours couvertes de boues formées des déjections, de poussière et de l’eau venant des toits. « Évitez les jardins des Tuileries » lance le comte d’Angivillers qui fait couper les arbres où se cachent « les chieurs qui venaient de loin tout exprès » ! La capitale ne verra naître le tout-à-l’égout, et ses maisons les toilettes, qu’à la fin du XIXème siècle. Jusque là, rien d’autre que le pot de chambre, ou la chaise percée pour les plus aisés, dont le contenu est jeté dans la rue après utilisation.
18ème et 19ème étapes
Autour du Tour :
Quand ça descend... il faut remonter !
Rien de toute cette crasse à la Saline royale d’Arc-et-Senans.
L’utopie réalisée
Une révolution due à une phase d’extension du capitalisme industriel naissant. Celui-ci avait compris que les ouvriers avaient besoin de reconstituer leurs forces de travail dans des conditions acceptables pour produire en conséquence. On notera que ces améliorations importantes de la condition ouvrière -classe sociale en développement- interviennent près d’un siècle avant le familistère Godin à Guise (Aisne), le « Palais social » de l’industriel fouriériste n’ouvrant qu’en 1861. Fourier, justement né à Besançon en 1772, comme Proudhon, autre socialiste utopiste né à Chasnans (Doubs) ou l’écrivain social Victor Hugo né à Besançon.
Claude-Nicolas Ledoux, architecte proto-socialiste avant la création des mouvements socialistes, allez savoir… Réalisateur d’utopies en tout cas c’est certain. Son saumoduc est une réalisation remarquable utilisée jusqu’à la fermeture du site en 1895. Des sapins évidés véhiculent de la saumure, c’est-à-dire de l’eau chargée en chlorure de sodium (sel) sur plusieurs dizaines de kilomètres. Son système de bernes ventilées pour cuire la saumure et extraire le sel est remarquable. Le projet prévoyait la production d’environ 100 000 tonnes d’eau à évaporer par an à raison d’une concentration de 30 grammes de sel par litre de saumure. Un objectif jamais atteint puis concurrencé par d’autres sels.
Ledoux, 3 siècles avant Niemeyer !
Mais l’autre Ovni est ailleurs, dans le musée interne à la Saline et consacré aux projets architecturaux de Claude-Nicolas Ledoux. Une soixantaine de maquettes et la modélisation sur tablette des monuments rêvés de l’architecte : des usines-pyramides, un cimetière sphérique avec aération pour limiter l’utilisation de terrains pour les morts, une autre sphère comme la maison des gardes forestiers, une maison des surveillants de rivière en forme de tuyau, un truc sans nom pour la maison des tonneliers, une maison de plaisir, des écoles, prisons, édifices industriels…
Il faudra attendre 1960 avec la création de Brasilia, les bâtisses d’Oscar Niemeyer et le projet urbanistique de Lúcio Costa pour retrouver l’équivalent de cet ancêtre-bâtisseur qui considérait « L’architecture sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation ».
Près de trois siècles d’avance… Un vrai voyageur du temps, l’ami Ledoux !

