Pourquoi cette grève est-elle exceptionnelle ?
Elle se déroule dans des circonstances extraordinaires. En mai 1940, la France est battue. L’armistice est signé le 22 juin. Beaucoup envisagent une paix prochaine. La Wehrmacht occupe les deux tiers du pays. Le Nord-Pas-de-Calais est détaché du territoire, il est rattaché à l’administration allemande de Bruxelles : c’est la « zone interdite » ! De Gaulle a lancé son appel. Le 10 juillet 1940, la République est abolie. Amputé entre autres des députés communistes, le Parlement réuni à Vichy a voté cette abolition. Seuls 80 parlementaires ont voté contre ; aucun n’a pris la parole pour s’y opposer.
Est-ce le seul changement ?
Non. La CGT, si puissante dans le Bassin minier, est devenue inexistante ou atone. Les communistes en ont été exclus dès septembre 1939. Quant aux réformistes, leurs principaux dirigeants se sont alignés sur l’ancien syndicaliste Belin, ministre de Vichy et sont passés à la collaboration dès l’été 40.
Comment s’organise la mobilisation ?
Dès juin 1940, des communistes souhaitent rendre de nouveau visible leur parti interdit depuis septembre 1939. Réunis clandestinement autour de Martha Desrumaux, le 27 juillet 1940 à Dechy, ils décident de mobiliser les mineurs pour une grève générale, comme l’explique Jacques Estager dans son livre « Ami, entends-tu ? »
C’est un pari fou !
Absolument. Ces militants ont contre eux les compagnies minières, les chefs très connus des syndicats collaborateurs, l’administration, l’occupant, nombre de notables, la presse et les mouchards ! Mais ces Résistants bénéficient d’atouts : ce sont des syndicalistes vivant au cœur des mines. Pour la machine de guerre allemande, le charbon est un enjeu essentiel. La dureté de la vie et du travail renforce l’hostilité aux « Boches », les souvenirs de 1936 et la volonté d’être libre !
Comment organisent-ils cette mobilisation ?
Syndicalistes, ils rédigent dès août 1940 un cahier de revendications prenant en compte les besoins des mineurs du fond, du jour et retraités, de leurs familles et aussi des 500.000 travailleurs étrangers, surtout polonais. Tout se fait clandestinement. Des grèves ponctuelles démarrent dès septembre 1940. Elles prennent essor en janvier 1941 dans le Douaisis puis à Montigny. Mais la répression les brise. Le retour de militants expérimentés (Lecœur en août 1940, Lecointe, Calonne, Bancel au printemps 1941) renforce la Résistance. La consigne est claire : éviter tout affrontement avec les forces de l’ordre, allemandes ou françaises, créer une vaste toile d’araignée pour diffuser informations et messages. Moins repérables, les femmes et jeunes filles en sont les fils. Des jeunes, comme Eusebio Ferrari, Julien Hapiot, Michel Brûlé, mènent des actions spectaculaires. Le 1ᵉʳ mai 1941 est une grande journée de mobilisation : papillons, inscriptions sur les murs, drapeaux rouge et tricolore accrochés aux fils électriques décorent corons et fosses des mines !
Et la grève alors ?
Elle est fortement préparée durant avril et mai. Le 27 mai, Michel Brûlé déclenche la grève au puits Dahomey à Montigny-en-Gohelle. La toile d’araignée fonctionne rapidement. En deux jours, tout le Bassin minier est informé. Les femmes tiennent la grève en pilotant des piquets de grève mobiles et manifestent sous le cri de « Pas de charbon pour les Boches ! »
La grève dure 15 jours, s’étendant même à des usines sur Lille et alentours. Mais la répression brise le mouvement. 244 mineurs sont déportés, c’est le premier convoi de déportés français pour l’Allemagne. Un millier d’hommes et de femmes sont arrêtés.
Pilotées par les communistes, cette mobilisation et cette grève exceptionnelles témoignent des capacités de lutte des travailleurs.