Les accords signés le 18 mars 1962 sont issus d’un très long et difficile processus. Les négociations ont commencé secrètement en Suisse, après l’adoption, le 8 janvier 1961 par référendum, du principe d’autodétermination. Elles ont duré 14 mois et, comme le rappelle l’historien Guy Pervillé, ont été interrompues une première fois en avril-mai 1961. Le Gouvernement provisoire de la révolution algérienne (GPRA) reprochait alors au ministre français des Affaires algériennes, Louis Joxe, de vouloir inclure dans les discussions le Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj (rival du FLN). C’est à ce moment que les généraux Challe, Zeller, Jouhaud et Salan ont fait leur tentative de putsch (du 21 au 26 avril).
L’ouverture officielle des négociations à Évian a eu lieu le 20 mai 1961. Elles ont été suspendues le 13 juin par la France, pour un mois, puis à nouveau ajournées par le GPRA. Finalement, les accords portent sur un cessez-le-feu (le 20 mars 1962 et que l’OAS a vite tenté de briser avant d’en être empêchée par l’armée française), un transfert de souveraineté de la France à un nouvel État algérien (avec une phase de transition), la définition des rapports futurs entre les deux États.
Étaient aussi affirmés la pleine souveraineté du futur État algérien, la garantie de la liberté et de la sécurité des habitants et notamment des Français d’Algérie (les « pieds-noirs »), le droit de partager également la protection et les privilèges accordés à tous les Algériens pour une période transitoire de 3 ans à l’issue de laquelle ils pourraient opter pour la nationalité algérienne ou garder la nationalité française (mais pas question de double nationalité). Ajoutons encore le principe d’une coopération entre la France et l’Algérie, le règlement des questions militaires, etc.
Le chapitre de la coopération économique et financière
Sur les questions militaires, la France avait 12 mois pour réduire ses forces armées à 80 000 hommes et 24 mois pour les rapatrier en totalité… Une concession à bail de Mers-el-Kébir avait été fixée à 15 ans et renouvelable via un accord entre les deux pays.
S’agissant de la coopération économique et financière, la France devait fournir, pendant trois ans, une aide comparable et à un niveau comparable à ceux des programmes en cours. De son côté, « l’Algérie continuerait à faire partie de la zone franc et les travailleurs algériens seraient libres de rester en France », comme l’écrit Alistair Horne dans son ouvrage « Histoire de la guerre d’Algérie » paru en 1977. Ce dernier évoque aussi « un accord compliqué sur le problème capital des droits dans le domaine pétrolier [qui] autorisait les concessions des compagnies sur la base des exploitations en cours et prévoyait un traitement préférentiel pour les nouvelles exploitations ».
On sait, dans l’immédiat, le sort qui a été réservé aux harkis (abandonnés par la France) et le manque de garanties solides pour les « pieds-noirs ». Beaucoup estimaient que, dans sa hâte, De Gaulle avait jeté ces derniers « par-dessus bord », rapporte Alistair Horne.
Dès 1960, l’ethnologue et résistante Germaine Tillon estimait que « Notre légitime objectif de guerre est de sauvegarder les vies et les intérêts d’une importante population qui a des droits sur la France. » Évian n’y est pas parvenu.
24 ans après la signature des accords, celui qui fut le dernier président du GPRA, Benyoucef Ben Khedda posait encore de nombreuses questions : « Les accords d’Évian ont mis fin à une guerre. Ont-ils pour autant bradé une révolution ? Fruit d’une longue négociation dont l’histoire reste à faire, ont-ils simplement servi à formaliser une indépendance octroyée ? Ou bien, doit-on, au contraire, n’y voir la brillante consécration d’une indépendance arrachée ? En d’autres termes, quelles ont été exactement la signification, la portée des accords d’Évian ? Plateforme néo-colonialiste ou contribution majeure au processus de décolonisation ? »
Un somnifère
Le premier président de l’Algérie indépendante, Ben Bella, estimait dès 1962 que « les accords d’Évian constituaient un compromis qui, à certains égards, était incompatible avec les perspectives socialistes, du fait qu’ils maintenaient des privilèges que le gouvernement algérien voulait abolir, dans le cadre notamment d’une révolution agraire. »
Que ce soit dans les domaines économique, militaire ou culturel, « les concessions faites à la France étaient trop importantes pour être respectées par un jeune État jaloux de son indépendance », écrivait le quotidien El Watan le 19 mars 1997.
Dans le domaine économique, l’Algérie devait respecter tous les principes d’une économie libérale et garantir les intérêts français acquis avant l’indépendance. Kaïd Ahmed, l’un des adversaires des accords (comme l’était Houari Boumediene), disait que « ces textes ont été pour notre révolution comme un somnifère. En nous offrant l’indépendance formelle, ils nous détournaient des vraies tâches de la construction économique et de la refonte sociale… De Gaulle et Joxe, avec la complicité de plusieurs de nos négociateurs, (…) ont fait perdre dix ans à la révolution algérienne. »