À quelques décennies d’intervalle, ces insurrections sont celles d’une classe laborieuse confrontée à l’effondrement de ses conditions d’existence sous la pression du capitalisme industriel.
Un artisanat condamné par la machine
Dans l’Angleterre du début du XIXe siècle, la manufacture cède progressivement la place à la fabrique mécanisée. L’introduction de machines comme la tondeuse mécanique dans le textile supprime des métiers entiers, notamment celui des tondeurs de drap. Ces artisans, garants d’un savoir-faire ancien, voient leur travail dévalorisé par une production plus rapide et moins coûteuse. Privés de leurs moyens de subsistance, ils s’organisent en sociétés secrètes sous le nom du mythique général Ludd et mènent des actions ciblées contre les fabriques. Des centaines de machines sont détruites, les manufactures attaquées.
Mais la réponse est implacable. Le gouvernement britannique mobilise l’armée, instaure des peines de mort contre les destructeurs de machines et écrase le soulèvement. La défaite des Luddites illustre la disparition inéluctable du mode de production artisanal face à l’accumulation capitaliste, qui substitue le travailleur qualifié par une main-d’œuvre moins chère et plus exploitée.
Luddites
Mars 1812 : Des Luddites attaquent une fabrique à Rawfolds, dans le Yorkshire. L’armée tire sur les assaillants, plusieurs sont tués.
Janvier 1813 : 14 Luddites sont pendus à York après un procès expéditif.
Témoignage : « Je me rendais chez moi lorsque j’ai entendu des coups de feu. Plus tard, j’ai appris que M. Horsfall avait été tué. » – Un habitant de Huddersfield.
Une classe en formation
Quelques années plus tard, à Lyon, les ouvriers de la soie – les Canuts – subissent une autre forme d’exploitation. Contrairement aux Luddites, leur lutte ne vise pas la destruction des machines, mais l’instauration d’un tarif minimum garantissant leur survie. En 1831, face au refus des négociants de respecter un barème salarial, les ouvriers se soulèvent et prennent le contrôle de la ville. Ils organisent leur défense et affrontent l’armée royale.
La répression est brutale, mais en 1834, la colère explose à nouveau. Cette fois, les revendications s’étendent au-delà de la question salariale : les Canuts formulent des exigences politiques, esquissant les prémices d’une organisation ouvrière. La répression écrase le soulèvement, mais la lutte révèle un changement fondamental : la classe ouvrière naissante ne cherche plus à stopper le progrès technique, elle revendique sa part dans un système qui l’écrase.
La révolte des canuts à Lyon (1831-1848)
La révolte des canuts désigne des soulèvements ouvriers à Lyon dans les années 1830, menés par les ouvriers de la soie de la Croix-Rousse. Ces derniers, surnommés les canuts, protestent contre la précarité salariale et les conditions de travail dégradées, plutôt que contre les machines elles-mêmes. Bien que des émeutes aient éclaté dès 1819 contre l’introduction de nouvelles machines, les canuts revendiquent principalement un salaire garanti face aux fluctuations du marché.
Dépossédés de leur savoir-faire par la révolution industrielle, ils s’organisent pour contester un système économique qui les réduit à n’être que des forces de travail. Ces révoltes s’inscrivent dans un contexte plus large de transformations sociales et économiques dues au capitalisme naissant.
Luddites et Canuts, deux formes de résistance
- Les Luddites combattent les machines qui les privent de leur travail. Leur lutte exprime la résistance d’un artisanat condamné par l’industrialisation.
- Les Canuts revendiquent un salaire et une reconnaissance de leur travail. Ils s’inscrivent déjà dans une logique de lutte ouvrière organisée.
- Deux mouvements, deux périodes : le premier marque la fin d’un mode de production, le second annonce l’émergence de la conscience de classe prolétarienne.