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Jeanne Menjoulet - CC BY-ND 2.0
Il y a 64 ans en Algérie

Les appelés ont contribué à faire échouer le putsch des généraux

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Mise à jour le 28 mars 2025
Temps de lecture : 8 minutes

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Guerre Algérie Histoire

Durant la guerre d’Algérie, menée par la France de 1954 à 1962 contre les indépendantistes, 2,5 millions de jeunes appelés ont été mobilisés. Malgré la discipline et les conditions très dures, ils ont su ne pas céder à la passivité devant l’inacceptable. Les explications de l’historien Alain Ruscio.

À partir de 1956, les appelés ont dû partir massivement en Algérie. Comment leur a-t-on fait accepter d’aller se battre ?

En 1954, on disait aux Français que l’Algérie était trois départements français. Dès ce moment, les autorités ont fait en sorte de minimiser l’insurrection et ont évoqué des « soubresauts ». La France a d’abord envoyé la police et la gendarmerie pour « rétablir l’ordre ». Et puis, très progressivement, les appelés sont partis. Comme on considérait que l’unité de la nation était en danger, on leur a demandé de faire leur "devoir de citoyen". On leur disait qu’ils partaient faire une "pacification" contre les "rebelles" et non la guerre. Il valait mieux ne pas avoir 20 ans, voire un peu plus en tenant compte des sursitaires, entre 1956 et 1962. Mais une fois sur place, les jeunes français se sont aperçu qu’ils n’avaient pas affaire à des « événements » comme on pouvait lire dans la presse ou entendre dans les discours des ministres. Ce n’était pas une insurrection menée par quelques agitateurs, c’était une véritable guerre. À partir de là, toutes les familles françaises ont été concernées. Elles avaient toutes un fils, un mari, un fiancé, un oncle, un cousin qui était en Algérie.

Que découvrent-ils une fois sur place ?

À cette époque, les Français voyagent peu. De nombreux jeunes appelés quittent leur village ou leur ville alors qu’ils n’avaient jamais voyagé hors de leur département. Du jour au lendemain, ils quittent leur famille et leurs copains pour se retrouver dans un pays dont on leur dit que c’est la France. En arrivant, ils découvrent une autre réalité : des gens qui ne leur ressemblent pas, qui s’habillent différemment et parlent une langue qu’ils ne comprennent pas. Ils voient des minarets et entendent des appels à la prière pour la première fois. Ils voient du sable. Pour eux, ce n’est pas la France telle qu’ils la connaissent Et puis, c’est la guerre. On leur a menti.

Il y avait les appelés et les rappelés.

Tout à fait. Au fur et à mesure que les autorités françaises se sont aperçues que cela devenait très chaud, il fallait envoyer de plus en plus de soldats du contingent. Les manifestations et protestations n’ont rien empêché. Plusieurs centaines de milliers de jeunes français sont partis, en plus des soldats de l’armée de métier. Ceux qui encadraient les jeunes étaient des anciens de la guerre d’Indochine qui estimaient avoir une revanche à prendre. Les officiers supérieurs en Algérie avaient fait l’Indochine auparavant, à commencer par Bigeard, Massu, etc.

Parlons des parachutistes. Leur état d’esprit était fort différent de celui des fantassins. Au départ, il se disait que rien ne différenciait un appelé parachutiste d’un appelé fantassin. Mais six mois après, tout les sépare, écrit Jean-Pierre Vittori dans son livre « Nous les appelés d’Algérie ».

Les paras se sont toujours considérés comme l’élite, les baroudeurs que l’on envoie là où c’est particulièrement dangereux. À partir de là se construit cette légende que l’on retrouve d’ailleurs sur le net et dans les revues spécialisées sur papier glacé autour de l’exaltation, de leur virilité, de leur courage.

Ils considéraient avoir une mission de sauvegarde de la civilisation et de l’occident ?

Bien sûr. Certains d’entre eux, comme Roger Holeindre, partisan de l’Empire français, qui a été un compagnon de Jean-Marie Le Pen et l’un des fondateurs du Front national, a été volontaire en Indochine puis en Algérie, comme Le Pen. Le Pen a torturé de ses mains, c’est désormais prouvé par bien des témoignages, recensés dans le remarquable livre de mon collègue Fabrice Riceputti. Bref, tous ces gens qui se considéraient comme l’élite de l’armée auraient bien voulu entraîner les soldats. Mais les petits soldats de France qui avaient tout juste eu le temps d’apprendre à manipuler un fusil ou un fusil-mitrailleur ne voulaient pas de cette prolongation du conflit. Il faut savoir que 20 000 soldats sont morts en Algérie. 20 000 jeunes qui n’avaient rien demandé. Tous ne sont pas morts au combat. Certains ont péri dans des accidents. On estime leur nombre à plus de 7 600.

Il y a eu des appels à l’insoumission, voire à la désertion. Comment ces jeunes y ont-ils répondu ?

Il y a plusieurs cas de figure qu’il convient de bien discerner. En octobre 1960, un manifeste a été publié par 121 intellectuels, « la déclaration des 121 », parmi lesquels Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre pour appeler à l’insoumission. Il faut reconnaître qu’il n’a pratiquement pas été suivi. Il fallait en effet un sacré courage pour refuser de partir et choisir entre l’exil ou la prison. La seconde façon de s’opposer venait des objecteurs de conscience, plutôt de tradition catholique, qui ne voulaient toucher aucune arme. La troisième catégorie était ce que l’on appelait les soldats du refus, qui appartenaient plutôt à la mouvance communiste. Ils n’étaient pas contre l’armée et se disaient prêts à défendre leur pays, selon la tradition communiste. Mais ils considéraient que l’Algérie n’était pas leur pays et refusaient donc de faire cette guerre. C’était un mouvement très spectaculaire mais extrêmement minoritaire. Le PCF a considéré que ce n’était pas un travail de masse tout en les saluant et les défendant. Enfin, la quatrième catégorie était constituée de ceux qui étaient partis mais qui, de l’intérieur, essayaient de faire de la propagande ou de limiter la casse en tentant d’éviter les crimes à chaque fois qu’ils le pouvaient. Pour eux, c’était très compliqué.

Il y a eu des cas où les soldats ont refusé de participer à des opérations. L’idée que les appelés obéissaient au doigt et à œil ou étaient passifs est donc fausse ?

D’abord, ceux que les officiers considéraient comme des meneurs ou des « fortes têtes » risquaient gros et pouvait être envoyés au front, sur les terrains les plus dangereux. Mais il ne faut pas oublier un moment très important. La tentative de putsch fomentée en avril 1961 par les généraux Challe, Salan, Zeller et Jouhaud va échouer grâce en partie au contingent et aux appelés. Les soldats se sont vraiment révoltés. Le PCF avait alors une forte influence sur la jeunesse et donc sur beaucoup d’appelés. Il y a eu jonction de leur résistance avec des officiers et sous-officiers "républicains", gaullistes ou socialistes pour refuser ce putsch fasciste.

L’histoire des appelés en Algérie peut-elle trouver une résonance aujourd’hui ?

On l’a vu il y a 20 ans lors de la guerre entre l’Irak et l’Iran où l’on a envoyé les jeunes à la boucherie pour « défendre » leur patrie. Aujourd’hui, les jeunes russes que l’on envoie en Ukraine peuvent faire penser aux jeunes appelés français de la guerre d’Algérie. En Israël, c’est différent parce que l’armée est politisée. Soldats et officiers savent ce qu’ils font lorsqu’ils bombardent Gaza ou volent les terres des Palestiniens de Cisjordanie. Il y a depuis quelques semaines une étape franchie dans la détestation de la Russie, dont le régime est évidemment réactionnaire et agressif, mais est-ce vraiment la peine de provoquer cette hantise ?… et les milliards de commandes qui vont aller dans les poches des industriels de l’armement. En France, il faut beaucoup se méfier de la communication à sens unique de nombreux médias et qui peuvent convaincre de se préparer contre une arrivée de l’armée russe.

Propos recueillis par Philippe Allienne
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