La faillite de la Compagnie du canal plonge des milliers d’épargnants dans la ruine, tandis qu’un vaste scandale politico-financier éclabousse la IIIe République.
Une ambition mondiale
L’idée d’un canal interocéanique au Panama remonte au XVIe siècle, mais c’est Ferdinand de Lesseps, fort de son succès avec le canal de Suez, qui relance le projet en 1879. Ce chantier titanesque devait incarner la modernité et la puissance économique française. Mais l’isthme de Panama, au climat tropical, se révèle bien différent des conditions désertiques du Sinaï. Dès les premiers travaux, des pluies torrentielles et des épidémies comme la malaria ou la fièvre jaune entravent les avancées.
Les conditions de travail sont désastreuses pour les ouvriers, majoritairement venus des Antilles et d’Europe. En quelques années, plus de 22 000 travailleurs succombent à la malaria, la fièvre jaune et des accidents de chantier, un bilan humain catastrophique.
Pour financer le projet, Lesseps fait appel à l’épargne populaire, promettant des rendements faramineux. Mais les difficultés techniques, couplées à des dépenses mal maîtrisées, mettent la Compagnie française du canal en péril. En 1888, l’entreprise est en cessation de paiement, ruinant 85 000 souscripteurs, majoritairement des classes moyennes et populaires.
Corruption à grande échelle
L’échec financier aurait pu s’arrêter là, mais le scandale éclate lorsque l’ampleur de la corruption est dévoilée. Pour obtenir des lois favorables, Ferdinand de Lesseps aurait distribué des pots-de-vin à de nombreux parlementaires et ministres, surnommés les « chéquards ». La presse elle-même est arrosée afin de maintenir une opinion publique favorable au projet.
Un procès retentissant se tient en 1893. Charles Baïhaut, ancien ministre des Travaux publics, avoue sa culpabilité et est condamné à cinq ans de prison. D’autres, comme Gustave Eiffel ou Ferdinand de Lesseps, échappent à la prison grâce à la prescription. Ces révélations renforcent la défiance du peuple envers la IIIe République, perçue comme gangrenée par la corruption.
Le scandale n’épargne pas les grandes figures politiques de l’époque. Georges Clemenceau, alors chef du groupe radical, est accusé d’avoir bénéficié de l’aide financière de Cornelius Herz, compromis dans l’affaire. Bien qu’il ne soit pas directement impliqué, cette relation ternit son image. Son journal, La Justice, devient le symbole des connivences douteuses entre médias, politique et finance.
Après l’échec français, les États-Unis reprennent le projet en 1904, en optant pour un canal à écluses. Ce choix technique, mieux adapté au relief, permet l’ouverture du canal en 1914, devenant un symbole de la puissance américaine.