« La presque totalité des forces parachutées ou amenées par avion, a été anéantie. La majeure partie des troupes débarquées par mer a été repoussée. […] la première journée de l’invasion se termine, affirme-t-on à Berlin, par un complet succès de défense allemand. »
À lire les communiqués en provenance de Berlin en première page du Grand Écho du Nord du 7 juin 1944, l’échec du débarquement allié ne fait guère de doute. Les bataillons de troupes aéroportées anglaises et canadiennes auraient été « décimés ».
Dans la même veine, le Réveil du Nord, l’autre grand quotidien nordiste, évoque les « lourdes pertes » éprouvées par les cuirassés et contre-torpilleurs alliés, repoussés par les vedettes rapides de la marine allemande.
Débarquement ? Auguste Leclercq, l’éditorialiste du Réveil du Nord, préfère parler d’une « hideuse invasion » qui « aboutira à un épouvantable esclavage ». Pour Auguste Leclercq, qui file la métaphore du spectacle, « l’auteur du scénario qui est en même temps le metteur en scène » est connu : « C’est le Juif. Il a préparé et fignolé son œuvre des siècles durant et rien ne manquera pour corser les tableaux d’horreur qu’il a prévus ».
Les grands titres nordistes au service des Allemands
Depuis leur reparution le 1ᵉʳ août 1940 avec l’autorisation allemande, le Grand Écho du Nord et le Réveil du Nord sont au service de la propagande de Vichy et de l’Allemagne nazie.
À partir de 1942, la Propagandastaffel impose aux journaux nordistes, jugés encore trop timorés, de faire paraître des articles politiques et des éditoriaux signés, comme le font déjà les journaux parisiens comme Le Matin.
Les autorités allemandes imposent leurs hommes. C’est le cas, au Grand Écho, de Charles Tardieu, ancien correspondant de guerre au Matin, puis chargé de la censure à Vichy, reconverti à une collaboration « sincère » entre la France et l’Allemagne. Le premier éditorial de Tardieu paraît le 6 juillet 1942. Au Réveil du Nord, Auguste Leclercq, un membre du Parti populaire français (PPF), le parti collaborationniste de Jacques Doriot, est nommé à la fin de l’année 1943.
L’épuration inachevée de la presse nordiste
Peu à peu, à mesure que l’avance alliée dissipe les mensonges de la propagande allemande, les éditoriaux de Tardieu et Leclercq se font plus fatalistes. À la fin août 1944, l’éditorialiste du Grand Écho du Nord médite sur les occasions manquées de la Révolution nationale et prophétise d’« immenses désillusions » pour la France tombée aux mains des Juifs et des communistes.
C’est que Charles Tardieu n’ignore pas le sort qui lui est promis. Le 30 juin 1944, Tardieu rend ainsi hommage à Philippe Henriot, le secrétaire d’État et à la propagande du régime de Vichy, abattu par la Résistance deux jours plus tôt.
À la Libération, les journaux de la collaboration sont interdits, leurs biens et leurs locaux confisqués : ceux du Réveil du Nord reviennent au journal socialiste Nord Matin tandis que ceux du Grand Écho sont remis à La Voix du Nord et à Liberté, dont le 1er numéro paraît le 5 septembre 1944.
En décembre 1944, Charles Tardieu est reconnu coupable de trahison et d’intelligence avec l’ennemi et condamné aux travaux forcés à perpétuité et à l’indignité nationale. Alors que la guerre n’est pas encore terminée, la décision est jugée bien trop indulgente par La Voix du Nord comme par Liberté pour qui la condamnation à mort aurait dû être une évidence. En août 1946, Auguste Leclercq est condamné à son tour à quinze ans de travaux forcés, à la confiscation de ses biens et à l’indignité nationale.
La condamnation de ces deux figures de la collaboration est cependant l’exception : l’épuration de la presse nordiste épargne en réalité la majorité des journalistes. Beaucoup de ceux du Grand Écho, par exemple, poursuivront leur carrière après-guerre à La Voix du Nord.