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31 juillet 1914

Jaurès assassiné, pire qu’un tremblement de terre

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Mise à jour le 2 août 2024
Temps de lecture : 3 minutes

Dans la chaude soirée du 31 juillet, au Café du Croissant, rue Montmartre, à quelques centaines de mètres du siège de L’Humanité, plusieurs coups de feu éclatent. Un homme, tournant le dos à la rue, s’effondre, mortellement blessé ; tout en mangeant, il devisait avec Pierre Renaudel, Jean Longuet et d’autres camarades. Sans doute discutaient-ils de l’édito de L’Humanité, journal fondé dix ans plus tôt sans le concours d’aucun groupe financier.

Un cri jaillit : « Ils ont assassiné Jaurès ! » L’assassin est Raoul Villain, membre de l’Action Française, mouvement d’extrême droite, et de la Ligue des jeunes amis de l’Alsace-Lorraine  ; il ne fera pas la guerre : cinq ans plus tard, en 1919, il sera acquitté !

Dans la nuit, à Carmaux, le maire Calvignac tombe à genoux en apprenant l’assassinat du député du Tarn. À Matignon, le Premier ministre René Viviani fait venir des régiments près des quartiers populaires, craignant la colère des ouvriers ; par ailleurs, il prépare la mobilisation générale. Le 1ᵉʳ août, à la Cartonnerie de la Lys de Comines, un ouvrier s’apprête à lire à haute voix le journal lors de la pause méridienne. Sa voix s’étrangle : « Jaurès a été assassiné ! » Mue par un instinct de classe, Martha Desrumaux court à perdre haleine jusqu’à la Maison du Peuple ; elle y met en berne le drapeau rouge déployé au fronton ; ainsi, la nouvelle peut se répandre dans la cité ouvrière.

Dans les salons bourgeois, chez les marchands de canon, des bouchons sautent, on sabre le champagne…

Un grand dirigeant révolutionnaire

Aujourd’hui, de nombreuses artères portent son nom. Le réduisant à un idéaliste pacifiste, certains oublient que cet humaniste lutta pour la laïcité en 1905. Il affirmait que la France devait être une République à la fois laïque et sociale ; ce fut le rêve du Front populaire, inscrit enfin en 1945 dans la Constitution.

L’historienne Rolande Trempé, spécialiste de Carmaux et de Jaurès, affirmait à juste titre qu’il était un militant révolutionnaire. Auteur de volumes érudits sur la Révolution française, Jaurès écrivait qu’en 1792, il se serait assis aux côtés de Robespierre auprès des Montagnards ; il avait ainsi choisi son camp, celui de la défense des petites gens, paysans pauvres, artisans, boutiquiers, ouvriers des premières manufactures qui avaient du mal à vivre et voulaient une République sociale. Tout comme Robespierre, Jaurès voulait lutter contre les accapareurs, les financiers, le grand patronat. Il l’avait fait le 10 mars 1906 dans un article rédigé après la catastrophe de Courrières (1200 victimes). Le titre en était magnifique : Justice ! Jaurès parlait de communisme, du droit des ouvriers à participer à la gestion des compagnies minières…

Le 31 juillet, il traversait en train les plaines du Hainaut et de Picardie où les armées royalistes et impériales coalisées avaient en vain tenté d’écraser les troupes de la Révolution formées de conscrits  ; il pensait sans doute que le 28 juillet, Robespierre avait été assassiné sans avoir eu le droit de prendre la parole à la Convention, première assemblée élue au suffrage universel masculin.

En 1914, la guerre qui s’annonce a peu de choses à voir avec celle de 1792 ; en 14, elle est le fruit amer des intérêts opposés de puissances européennes et surtout de trusts industriels et financiers. Beaucoup ont laissé croire que les travailleurs sont partis la fleur au fusil. Mensonge, mensonge d’État.

Dès les premiers mois de la guerre, dans les tranchées, les langues se délient ; beaucoup déjà n’en peuvent plus. Le bourrage de crâne, une répression multiforme, la présence des gendarmes et des tribunaux d’exception, empêchent la protestation de prendre de l’ampleur.

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