Karl Marx analyse ce processus comme une transition fondamentale dans l’histoire du mode de production.
Des figures centrales de l’artisanat corporatif
Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le travail artisanal était organisé en corporations, des structures régulées par l’État et chargées de garantir la qualité et la formation des artisans. Au sommet de ces organisations se trouvait le maître de jurande, véritable garant du métier.
Pour accéder à ce statut, un artisan devait suivre un long parcours : apprentissage auprès d’un maître, puis compagnonnage au cours duquel il perfectionnait ses compétences, et enfin réalisation d’un chef-d’œuvre validé par la jurande. Ce processus garantissait un contrôle strict des savoir-faire et une régulation du marché.
Le maître de jurande possédait son propre atelier, formait des apprentis et embauchait des compagnons. Il participait aux décisions collectives de la corporation et veillait à l’application des normes du métier. Ce système cloisonné limitait l’innovation et empêchait une production de masse, ce qui, selon Marx, constituait un frein au développement.
Une hiérarchie bouleversée par la manufacture
Le compagnon occupait une position intermédiaire dans le système corporatif. Après son apprentissage, il travaillait sous la direction d’un maître et gagnait en expertise en voyageant de ville en ville, une tradition appelée le « Tour de France ». Il ne pouvait ni ouvrir son propre atelier ni former d’apprentis. Son avenir dépendait de sa capacité à devenir maître, une évolution souvent limitée par le contrôle des jurandes.
Avec l’essor de la manufacture, ce système est profondément transformé. Dans les ateliers manufacturiers, le travail n’est plus organisé par des maîtres indépendants mais par des entrepreneurs qui divisent les tâches au sein d’un même espace de production. La production se spécialise : au lieu qu’un artisan réalise un objet de bout en bout, chaque ouvrier effectue une tâche précise sur une chaîne de fabrication. Ce passage d’une division du travail entre corporations à une division du travail au sein de l’atelier marque la transition vers le capitalisme industriel.
Marx voit dans cette évolution une dépossession progressive des artisans : les anciens maîtres perdent leur autonomie, tandis que les compagnons deviennent des ouvriers soumis à la logique du capital. Le processus qui mène à la grande industrialisation est lancé.