Dans l’atelier, dans la rue et jusque dans les chansons populaires, les ouvriers inventent de nouveaux langages pour raconter leur sort. Leur conscience politique ne naît pas d’un seul événement spectaculaire, mais d’une multitude de gestes, de symboles et de créations qui façonnent progressivement un « nous » distinct face à la puissance bourgeoise.
La poésie ouvrière, langue de la dignité prolétaire
Portée par Savinien Lapointe ou Pierre Dupont, la poésie ouvrière s’empare des codes littéraires bourgeois pour dire la misère. En alexandrins, elle raconte la vie rude de l’atelier et l’usure des corps ― jusqu’à devenir cri de ralliement. Surnommée Marseillaise des travailleurs, une chanson de Dupont compare l’ouvrier à une machine, bonne à jeter lorsqu’elle ne produit plus. L’art devient alors outil de prise de conscience : les travailleurs se découvrent un destin commun, opposé à celui des possédants.
Blouse contre habit, quand le vêtement dit la lutte de classes
Au milieu du XIXᵉ siècle, la séparation est nette : la blouse est celle de l’ouvrier, l’habit celui du bourgeois. Le vêtement incarne la division sociale autant qu’il signale la place de chacun. Force de travail à louer d’un côté, respectabilité et propriété de l’autre. Avec le développement de l’industrie textile, certains ouvriers s’offrent des vêtements « à la bourgeoise » pour les jours de fête. Mais rester en blouse le dimanche devient parfois un geste politique, celui d’affirmer sa classe plutôt que la masquer.
Le Saint Lundi
Cette tradition ouvrière, née au XVIIIᵉ siècle et surnommée lundi bleu en Allemagne, consiste à s’octroyer un jour de repos supplémentaire au mépris du règlement. À l’heure où l’industrie impose rythme, horaires et discipline, ce petit sabotage du lundi marque une forme de résistance collective.
Le contrôle du temps de travail
Avec la mécanisation, l’usine dicte le temps : horaires précis, pauses millimétrées, contrôle jusqu’aux allers‐retours aux toilettes. Très vite, les ouvriers développent mille tactiques pour reprendre un peu de souffle : traîner aux sanitaires, grappiller des pauses, pousser la machine à la panne. Aujourd’hui encore, la panne est parfois un moment de répit « volé » à la cadence.