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Par JÄNNICK Jérémy — Compagnie des mines de Courrières, Domaine public
10 mars 1906, la catastrophe de Courrières

Aujourd’hui encore, on meurt pour le profit patronal

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Mise à jour le 21 mars 2025
Temps de lecture : 7 minutes

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Histoire

Rares sont les catastrophes au travail qui provoquent plus de quelques dizaines de morts. C’est pourquoi, ce qu’on a appelé la catastrophe de Courrières (Pas-de-Calais), le 10 mars 1906, a laissé une trace indélébile dans la mémoire ouvrière.

Sur 1.664 ouvriers descendus à quelque 300 mètres sous terre le matin, 1.099 trouveront la mort. En pertes humaines, c’est la plus importante catastrophe industrielle qu’ait jusqu’à ce jour connue la France. La catastrophe de Courrières. Elle aurait pu être évitée et elle entraînera des modifications de la législation du travail par la grève et les actions, violemment réprimées, qu’elle suscitera. 119 ans et des dizaines de milliers de morts au travail plus tard en France, les leçons sont-elles tirées ? On en doute…

Le délégué-mineur alerte…

Le 10 mars 1906, peu après 6 h 30, une violente secousse est ressentie dans les petites villes de Billy-Montigny, Méricourt, Sallaumines et alentours. Des communes imbriquées les unes aux autres, sur moins de 5 km, comme toutes celles du Bassin minier Nord-Pas-de-Calais.

Elles comptent notamment trois fosses [1] à Billy-Montigny (Fosse 2 dite Auguste Lavaurs), Méricourt (Fosse 3 dite Lavaleresse ou Boca) et Sallaumines (Fosse 4/11 dite Sainte-Barbe ou C. Derome). Toutes appartiennent à la Compagnie des mines de Courrières, ville située à 15 km de la catastrophe.

Avant la prise de poste, le délégué-mineur Pierre Simon -dit Ricq- demande aux mineurs de ne pas descendre tant qu’un incendie déclaré au fond ne sera pas éteint. La direction conteste et ordonne de descendre ; les mineurs obéissent… et meurent ! Une déflagration incendiaire ravage brutalement, 300 mètres sous terre, la centaine de kilomètres de galeries creusées pour extraire le charbon, combustible indispensable aux productions industrielles en plein essor.

La flamme parcourt 110 km de galeries en moins de deux minutes, à plus de 3.300 km/h ravageant tout sur son passage, s’engouffrant dans les puits de descente, répandant des gaz mortels. La déflagration est si forte qu’à la surface des débris ainsi que des chevaux sont projetés en l’air, les moulinages [2] broyés.

La production avant les secours

Les secours s’organisent rapidement dans ce bassin industriel où la solidarité constitue le ciment qui permet de survivre. Ouvriers, hommes d’about [3], porions [4], ingénieurs, tout le monde participe au sauvetage. De premiers survivants ont réussi à remonter ou ont été découverts, mais l’état de certains, brûlés ou amputés laisse présager de la gravité du sinistre.

Les quatre jours qui suivent voient alterner actions de courage des sauveteurs et atermoiements des dirigeants et ingénieurs de l’État. Ceux-ci décident d’arrêter les recherches et de boucher les puits en affirmant qu’il ne pouvait plus y avoir de survivants. De premières obsèques se déroulent le 13 mars à Billy-Montigny sous une tempête de neige. Une cérémonie bâclée où l’ingénieur-en-chef et le directeur de la compagnie, hués par les familles, durent quitter le cimetière.

272 corps ne purent être identifiés et furent ensevelis dans une fosse commune, appelée aujourd’hui encore le « silo », à Méricourt. 20 jours plus tard, 13 rescapés seront retrouvés et 1 dernier encore le 4 avril, soit 24 jours après la catastrophe. Du risque prévisible d’accident à l’abandon prématuré des recherches, la direction, ses cadres et ceux du gouvernement se seront donc montrés indifférents à la vie humaine. L’important était la production et les hommes comptaient pour peu.

Grève massive et droits conquis

Le délégué-mineur Ricq avait raison de vouloir empêcher la descente ; il avait ensuite eu raison, avec le syndicat et les mineurs, de vouloir poursuivre les recherches. Le crime patronal et d’État entraînera dès le 14 mars une grève qui s’étendra à tout le Bassin minier et à 60.000 travailleurs.

Elle durera jusqu’au 6 mai et verra Georges Clemenceau envoyer 20.000 militaires pour mater le mouvement, emprisonnant d’abord les militants de la mouvance révolutionnaire. Le travail reprit après avoir obtenu des concessions salariales des compagnies minières et aussi face aux menaces de gouvernements bourgeois qui n’hésitaient pas à faire tirer sur les foules.

Malgré tout, le 13 juillet 1906, une loi fut votée accordant à tous les salariés de l’industrie et du commerce un repos de 24 heures après six jours de travail ; le 25 octobre était créé un ministère du Travail ; le 17 mars 1907, la parité aux conseils de prud’hommes était instituée. Les députés socialistes demanderont en vain la nationalisation de la Compagnie des Mines de Courrières.

Et la justice dans tout cela ? Le tribunal d’Arras rendra une ordonnance de non-lieu, confirmée le 24 juillet par la Cour d’appel de Douai, blanchissant ainsi les patrons accusés, notamment par Ricq, le délégué ; l’ouvrier mineur Vincent, et les ingénieurs Thiéry et Petitjean.

2025 : plus de 3 morts par jour ouvré en France

109 ans plus tard, si des acquis ont été gagnés par les luttes pour tenter d’empêcher de tels drames, qu’en est-il des accidents du travail ? Si on n’en compte plus d’aussi brutaux par leurs chiffres, on n’en est pas si loin chaque année. 674 morts directs au travail en 2021 en France, soit plus de 3 morts au travail par jour ouvré d’après les chiffres d’EUROGIP [5]. C’est deux fois plus que la moyenne européenne, en queue des autres pays d’Europe avec Malte, la Lituanie et la Lettonie. Et on ne compte pas les morts par maladies causées par les conditions de travail, comme le ravage des pesticides chez les paysans ou les dégâts de l’amiante. En France, c’est toujours le profit qui prime sur les êtres humains !

Notes :

[1Fosses : sites d’extraction pouvant descendre jusqu’à 1.200 m dans le Nord-Pas-de-Calais. Dans le Pas-de-Calais, elles sont désignées par des numéros, dans le Nord par des noms de personnalités.

[2Moulinage : permet de prendre place dans la cage (ascenseur pour descendre et remonter du fond) qui comporte plusieurs niveaux.

[3Homme d’about : ouvrier chargé de tout l’entretien, mécanicien, charpentier…

[4Porion : « poireau » en Picard, agent de maîtrise ; péjoratif car il regarde les autres travailler, debout comme un poireau.

[5EUROGIP est un groupement d’intérêt public entre la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) et l’Institut national de recherche et de sécurité (Inrs).

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