L’Angleterre, premier pays industrialisé, vit apparaître très tôt un mouvement ouvrier tourné vers la réforme politique. En France, où l’industrie se développa de manière plus diffuse, la classe ouvrière s’organisa autour d’horizons plus utopiques ou insurrectionnels. Ces deux trajectoires, anglaise et française, marquent encore aujourd’hui l’histoire des luttes sociales en Europe.
La naissance du mouvement chartiste
Bien que la Grande-Bretagne fût la première puissance industrielle mondiale, les ouvriers étaient loin d’en profiter. Exploités, sous-payés et privés du droit d’association, du droit de grève et du droit de vote, ils durent rapidement s’organiser. Un tournant s’opéra, et la Grande-Bretagne fut la première Nation en Europe à devoir légaliser les syndicats ouvriers, bien que la grève restât interdite. Malgré cette limitation, la priorité était donnée à l’action politique.
En 1832, des réformateurs et des représentants ouvriers signèrent ensemble une charte réclamant le suffrage universel et la démocratisation du Parlement. Les pétitions chartistes rassemblèrent des millions de signatures, et les meetings des centaines de milliers de manifestants, illustrant un mouvement de masse à l’échelle de la grande industrie. Cette période a contribué à l’image d’une classe ouvrière compacte et homogène.
Insurrection et utopies radicales en France
En France, la situation était différente. À quelques exceptions près, le pays ignorait la grande usine, et son industrie reposait sur un réseau dense de petites entreprises. Contrairement aux ouvriers anglais majoritairement légalistes, les ouvriers français du XIXe siècle pratiquaient volontiers l’insurrection, avec la barricade comme arme favorite.
C’est dans ce milieu ouvrier français, décrit comme fragmenté et volatil, que naissent et se propagent les utopies les plus radicales du XIXe siècle. On voit émerger des penseurs comme Fourier, qui rêvait d’un monde où chacun travaille selon son désir, et Saint-Simon, qui aspirait à un partage fraternel des bienfaits du progrès et de la grande industrie. Ses disciples étaient perçus par certains ouvriers comme des bourgeois voulant dépouiller leurs privilèges, mais les ouvriers n’avaient pas forcément envie de se lancer dans leurs « armées industrielles ».
Proudhon, pour qui la propriété était un vol et qui prônait une démocratie mutualiste, et Blanqui, un partisan de l’action clandestine et du coup de force révolutionnaire, étaient également influents. Leroux, avec sa philosophie religieuse du progrès, et Cabet, qui imaginait une communauté idéale de travailleurs où tout était mis en commun sauf les femmes, complètent ce tableau.
Étienne Cabet et le communisme utopique
Étienne Cabet est une figure emblématique des utopies du XIXe siècle. Il rêvait d’une société idéale où tout serait mis en commun, sauf les femmes. Son œuvre principale, Voyage en Icarie, décrit une communauté utopique basée sur l’égalité et la fraternité. Cabet proposait une réorganisation radicale de la société, où les biens seraient partagés et les décisions prises collectivement. Son influence fut considérable parmi les ouvriers français, qui voyaient en ses idées une alternative aux injustices du système capitaliste.