« On nous demandait de faire aux Vietnamiens ce que les nazis avaient fait en France et que nous avions combattu 5 ans durant. Ça nous a mis dans la situation de communistes allemands enrôlés dans la Wehrmacht. Être obligé de tirer sur des gens qui défendent leur pays, uniquement pour sauver sa vie… ».
Léo en fera l’expérience à deux reprises où il fut cité à l’ordre de l’armée pour avoir permis à ses camarades de s’échapper en mitraillant des assauts Viêt-Minh. Des décorations qu’il refusera (« je ne porte pas de médailles pour avoir tué des gens qui défendaient leur pays »), propos publics qui lui vaudront une amende aggravée lors d’un procès opposant le quotidien communiste Liberté au patron de la verrerie cristallerie d’Arques.
À l’époque, les juges avaient préféré oublier qu’en 1946, le gouvernement français lui-même, peu fier de sa guerre colonialiste, avait pris la décision de ne pas publier au Journal officiel les citations obtenues par les soldats d’Indochine.
Sauvé par les tatouages Viêt-Minh
Sur le terrain, les engagés de force, anciens FTPF, tentaient de survivre en respectant leurs principes internationalistes. Pas simple...
« Les camarades (Viêt-Minh) nous ont quand même fait un sacré cadeau qui m’a sauvé la vie. Ils nous ont saoulés un soir de réunion clandestine. Nous nous sommes réveillés avec des tatouages d’idéogrammes sur les deux épaules. En gros, ça disait qu’il ne fallait pas nous tuer car nous étions des camarades. Une nuit où je gardais le distillateur d’alcool de l’unité, je me suis endormi ivre-mort. On buvait pas mal pour oublier. Quand je me suis réveillé, plus d’arme, plus de brodequins, plus de distillateur et des centaines de mètres de voie ferrée avaient disparu. Ils auraient pu me tuer... mais j’avais mes tatouages. »
L’alcoolisme pour fuir la réalité de cette guerre frappa des dizaines de milliers de soldats français qui revinrent traumatisés à vie. Pour Michel Bodin, Docteur d’Etat, spécialiste des combattants d’Indochine, parmi les constats les plus fréquents, on note des crises nerveuses incontrôlables, des délires, des hallucinations, des syndromes de traumatisés du crâne et des tentatives de destruction. 21 500 hommes sont soignés pour des troubles plus ou moins graves et sont indisponibles pour leurs unités.
La paix sabotée
Ce qui permettait aux militants les plus aguerris de tenir ? « La foi dans la justesse de notre idéal. Nous avions constaté, dès le début que l’armée envoyait les troupes “FTP” en avant des légionnaires, pour nettoyer le terrain. Pour nous, c’était clair : on voulait éliminer le plus possible de résistants français, communistes ou supposés tels. Heureusement, cinq années de lutte armée contre les nazis nous avaient conditionnés à la survie. L’armée nous envoyait de temps en temps un nouvel officier qui voulait ’’casser du niakwé’’ [1]. Je ne sais si l’armée a fait les comptes mais c’est une des guerres où il a dû y avoir le plus d’officiers abattus d’une balle, française, dans le dos. »
À l’époque, malgré tout, persiste un espoir : celui d’un règlement pacifique du conflit. « Le général Leclerc avait rencontré Hô Chi Minh et était favorable à une résolution politique ».
Effectivement, en juillet 1946, Leclerc recommandait au gouvernement français « la reconnaissance de l’État du Viêt Nam (…) Il ne pouvait être question de reconquérir le Nord par les armes, nous n’en avions pas, et nous n’en aurions jamais les moyens. » Son but était de préserver les intérêts français au Viêt Nam ; « Il nous faut la paix ! ».
Las, le camp belliciste l’emporte et Leclerc est envoyé en Afrique du Nord, où il mourra dans un accident d’avion. Et en novembre 1946, la marine française bombardera Haïphong en ciblant volontairement 6.000 civils vietnamiens. La guerre à outrance était repartie. Elle durera jusqu’à la défaite de Diên Biên Phu.
La République reconnaissante…
Avant cela, les « engagés non volontaires », pour ceux qui ne seront pas morts au combat, reviendront en France, parfois avant la fin de leur engagement « non volontaire » ; à l’occasion de graves blessures.
« C’est grâce à une balle Viêt-Minh dans un poumon qu’on m’a rapatrié. Le résistant vietnamien qui m’a tiré dessus m’a sûrement sauvé la vie en m’écartant des combats ».
En effet, la sale guerre fera 83.000 morts côté français et 600.000 chez les vietnamiens. Jusqu’à la victoire vietnamienne et la réunification de 1976, Léo conservera des liens épistolaires avec des communistes vietnamiens connus à l’époque coloniale.
La guerre d’Indochine se rappellera à cet ancien FTP et FFI en 1987, quand peu de temps avant de mourir d’une tumeur, les médecins de Boulogne-sur-Mer lui apprendront qu’il vivait avec un seul poumon depuis son retour d’Indochine.
À l’époque, sans doute pour le sauver, les médecins militaires avaient asséché son poumon droit et, pour ne pas lui verser de pension, l’armée avait omis de lui signaler.
Avec le paludisme, ce fut le dernier cadeau de la République française au non- volontaire.