Et ça n’a pas manqué en effet, car de bout en bout, le public a clairement manifesté qu’il était gagné par la joyeuse et virtuose folie régnant tant sur le plateau que dans la fosse d’orchestre.
Rossini aimait la gaieté, le mouvement de la vie, il avait le sens de l’effet théâtral et la gastronomie gourmande n’était pas son moindre plaisir. Examinons de plus près les ingrédients qui, habilement mélangés, ont ainsi fait monter la savoureuse et néanmoins piquante sauce rossinienne dans la marmite lilloise
Une conduite d’acteurs précise et déjantée
Un metteur en scène, Jean- François Sivadier, fou de théâtre, connaissant la chanson sur le bout des doigts, qui a eu l’idée d’installer cet opéra bouffe dans un univers de théâtre de tréteaux avec coulisse ouverte en fond de scène et changements à vue dans un bric-à-brac de jalousies (c’est le mot qui convient dans cette histoire) en lattes de bois un temps suspendues, un temps déglinguées, s’affaissant au sol avec fracas selon la tournure des événements ; une lune matinale traçant sa route avec la légèreté d’un ballon de baudruche, des chaises prêtes à renverser sur un sol parsemé d’étoiles, ou non, c’est selon ; une pièce montée avec crème chantilly (ou mousse à raser) pour repas de mariage à géométrie variable, un paravent portable en forme de voile pour emmener en bateau la barbon de la farce etc. etc. Tous ces artifices évoluant au fil des multiples rebondissements de l’intrigue. Et pour pimenter le tout, une conduite d’acteurs (Véronique Timsit) d’une précision horlogère, mais complètement déjantée, épousant à merveille l’intention musicale.
Un jeune chef italien de 28 ans, Diego Ceretta (Rossini en avait 24 lorsqu’il composa son chef-d’œuvre) dont la direction précise, alerte et nuancée, imprime de belles couleurs rossiniennes à l’Orchestre national de Lille et dont le passé de violoniste n’est sans doute pas pour rien dans la façon dont il fait vibrer les cordes (et le cœur des auditeurs) dans la célèbre page symphonique de l’orage au deuxième acte.
Un Figaro blouson rouge
Le troisième ingrédient de cette farce musicale sans pareille se décline au pluriel, féminin, masculin, d’une distribution vocale à la hauteur de l’aventure.
À commencer par le baryton italien Alessandro Luongo qui, dès l’ouverture, arpente en tous sens le plateau, comme pour marquer son espace, sous les traits d’un Figaro blouson rouge, fringuant barbier factotum hyperactif de la voix comme du geste et meneur de jeu de cette abracadabrantesque comédie.
Le ténor colombien César Cortès endosse avec aisance, les traits du comte Almaviva, bien mis de sa personne quoiqu’un peu emprunté, puis ceux de Lindor pauvre, mais éloquent, amoureux transi et ensuite l’uniforme et l’allure burlesque d’un soldat d’opérette prétendument rond comme une queue de pelle.
Autant de stratagèmes mis en œuvre pour approcher la belle Rosina (la mezzo-soprano canadienne Deepa Johnny) laquelle n’attend que cela, toute de jaune vêtue, et qui, sous ses allures de bouton d’or tendre à croquer, fera preuve d’une libre impertinence pour imposer ses désirs.
La tenace convoitise de son tuteur Bartolo (le baryton italien Omar Montanari) drapé dans sa dignité de docteur et sa robe de chambre damassée, n’y pourra rien ! Pas plus que l’air de la calomnie et les manigances de Basilio, maître de musique et surtout maître-chanteur (l’Arméno-Allemand Vazgen Gazarvan, basse), lunettes noires et dégaine de voyou.
Je n’aurai garde d’oublier la soprano franco-roumaine Andreea Soare (Bertha, femme de chambre de Bartolo) dont les aigus bien affirmés exercent un pouvoir d’alerte incontestable sur les jeunes amants, ni le comédien Pierre-Guy Cluzeau (Ambrogio), lequel n’ayant pas droit à la parole vu son rôle de serviteur de Bartolo affiche néanmoins, aux yeux du spectateur, une bien originale et obsédante présence en marcel et clope au bec (magie du théâtre façon Sivadier).
Le chœur de l’opéra de Lille (chef de chœur Louis Gal) répond présent aux rendez-vous que ce soit en bande de bras cassés, musiciens de fortune lors de la sérénade matinale qui tourne au vinaigre ou en carabiniers de carton-pâte lors de l’intempestive intervention de la garde qui tourne court ; le baryton-basse Thibault de Damas (Fiorello, un officier) dirige cette petite troupe et fait chou-blanc dans les deux cas.
Un grand moment de plaisir partagé qui fait le plus grand bien par les temps qui courent…
Le Barbier de Séville opéra Buffa de Gioachino Rossini, livret de Cesare Sterbini d’après Beaumarchais, c’est à l’opéra de Lille jusqu’au 10 mars. Direction musicale Diego Ceretta, Orchestre National de Lille ; mise en scène Jean-François Sivadier (reprise assurée par Véronique Timsit).
Pour la petite histoire de l’ONL, fidèle partenaire de l’opéra, on notera que pendant qu’un gros contingent des musiciens se mettait au diapason des mélodies et crescendos de Rossini, une autre partie de l’orchestre interprétait, non loin de là et sous la direction de son chef fondateur Jean-Claude Casadesus, la symphonie n°5 de Schubert composée en 1816 comme le Barbier de Séville. Ceci étant dit simplement pour souligner les ressources de la formation symphonique nordiste chère au cœur des gens des Hauts-de-France.