Depuis 16 ans, la cinémathèque française restaure le film, sous la direction de Georges Mourier ; cette grande version dite version Apollo est d’une durée de plus de 7 h avec la présentation des triptyques finaux. La musique est composée par Simon Cloquet-Lafollye et interprétée par l’Orchestre national de France, l’Orchestre Philharmonique, le Chœur et la Maîtrise de Radio France, sous la direction de Frank Strobel.
Un chef-d’œuvre cinématographique
Bien évidemment, c’est un film muet, l’expérience de plus de 7 h de film entrecoupé par un entracte peut paraître fastidieuse ; néanmoins, la musique constitue un accompagnement de grande valeur. D’autre part, d’un point de vue cinématographique et filmique, ce film fait date. Ainsi, la richesse des prises de vue, notamment en extérieur, donne un souffle certain à l’intrigue ; les scènes d’intérieur ne sont pas oubliées, que ce soit aux cordeliers ou encore à l’Assemblée nationale.
De plus, la capacité d’Abel Gance à introduire de la poésie et du lyrisme est une indéniable réussite ; la scène de l’aigle et du canon à l’école militaire de Brienne est un modèle du genre, comme la scène de la tempête parallèle des troubles révolutionnaires est un sommet cinématographique, préfigurant le cinéma d’Eisenstein, notamment sur les scènes finales de l’armée d’Italie présentées en triptyque véritable originalité… Il y a aussi du Mélies dans certaines scènes, à l’exemple de celle où le visage de Joséphine apparaît dans un globe. Enfin, la musique originale créée pour l’occasion accompagne avec poésie le support de l’image.
Un Napoléon révolutionnaire ?
L’intérêt et même le plus grand intérêt du film par Abel Gance est de raconter la vie de Napoléon jusqu’à la campagne d’Italie au sein de la grande Histoire. De ce point de vue là, le film est, avant d’être une œuvre biographique sur Napoléon, une œuvre sur les premières années de la Révolution française ; on y retrouve les principales figures révolutionnaires (Robespierre, Danton, Marat, Saint-Just) ; Abel Gance place une scène où la Marseillaise est adoptée dans l’allégresse permettant l’apparition d’une figure de Marianne révolutionnaire et libératrice ; la mise en scène de la mort de Marat par Charlotte Corday est également bougrement intéressante ; la période de la « terreur » est également longuement abordée avec la mise en place des Tribunaux révolutionnaires.
Les scènes de discussion et les échanges houleux à la convention sont des constantes de ce film jusqu’à la mise au pas progressive de la première période révolutionnaire avec l’avènement du Directoire et de Napoléon Bonaparte, jeune général. Le passage relatif à la visite de Napoléon à l’Assemblée nationale vide, dans laquelle les spectres des grandes figures révolutionnaires précédentes lui demandent de ne pas oublier les principes ; le spectre de Danton s’adressant à lui : « Napoléon, écoute ce que la Révolution doit te dire ».
À la demande de Saint-Just (superbe Antonin Artaud) sur ses plans, Napoléon répond par l’exportation de la Révolution en Europe, la suppression des frontières et la République Universelle.
Du récit à l’histoire
Le visage de ce jeune général révolutionnaire, inondé par un halo de lumière, est quasi magnétique, vibrant, dans une symbolique à laquelle répond l’enthousiasme de l’assemblée des spectres révolutionnaires de l’assemblée, symboles, eux aussi, de la première période révolutionnaire, celle qui a permis la chute de la Royauté et l’instauration de la République, la proclamation des droits de l’Homme et du Citoyen, la liberté, l’égalité et la fraternité. Compte tenu des connaissances historiques sur la période suivante, qui permettra en quelques années à Napoléon de se proclamer 1ᵉʳ Consul, puis Empereur, on peut penser qu’Abel Gance place là les grandes limites du personnage et, malgré le souffle de la Révolution, la future réaction.
Malgré le titre Napoléon, il ne s’agit donc pas d’une hagiographie ; mais d’un récit de la première période révolutionnaire sous prétexte de l’histoire de Napoléon.
Il faut aller voir ce film ; bien que long, voire très long, il ravira les amoureux d’Histoire, les passionnés de la révolution, les défenseurs de la République et également les amoureux du 7ᵉ art.