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Un film nécessaire

« Ni chaînes, ni maîtres » de Simon Moutaïrou

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Cinéma

Sorti sur les écrans en septembre 2024, le film présente, à travers la résistance d’hommes et de femmes contre l’esclavage sur l’île Maurice au XVIIIe siècle, une histoire du marronnage. Entre histoire et mémoire, ce film entre aussi en résonance avec le présent.

La résistance des esclaves contre la domination coloniale

Synopsis. En 1759, sur l’Isle de France (actuelle île Maurice), ​Massamba et Mati, esclaves dans une plantation, vivent dans la peur. Lui rêve que sa fille soit affranchie, elle veut quitter l’enfer vert de la canne à sucre. Une nuit, elle s’enfuit. Massamba n’a d’autre choix que de s’évader à son tour. Par cet acte, il devient un « marron », un fugitif qui rompt avec l’ordre colonial.

Simon Moutaïrou a travaillé son film avec des experts comme l’historienne mauricienne Vijaya Teelock, longtemps responsable du programme « les routes de l’esclavage » à l’UNESCO. Il a lu de nombreux ouvrages sur le marronnage à l’image de Ma véridique histoire d’Olaudah Equiano ou Les marrons de Louis-Timagène Houat. Ce qui lui a permis d’acquérir la connaissance économique des îles sucrières, du monde des chasseurs d’esclaves et des techniques de survie au cœur de la forêt.

Le réalisateur a cherché à retranscrire le caractère sordide de l’exploitation et l’horreur du « Code Noir » introduit au XVIIe siècle par Colbert pour châtier les fugitifs. C’est la première fois que le cinéma français offre une telle représentation de ce qu’a été le travail dans les plantations et de l’acte de résistance que fut le marronnage. Pour son travail d’histoire et de mémoire, la production a reçu le soutien de la Fondation pour la Mémoire de l’esclavage.

Une histoire en résonance avec le drame des migrants

Marronner : c’est fuir le travail esclave, le travail harassant et les traitements dégradants physiquement et moralement.

Dans l’esprit historiographique des « colonial studies », qui depuis 30 ans cherchent à étudier le phénomène sous la double focale du dominé et du dominant, Simon Moutaïrou a choisi de raconter la reconstruction de l’homme derrière l’esclave et à travers lui l’honneur des marrons et l’amour de la liberté.

Au XVIIIᵉ siècle, ceux qui s’échappaient des plantations de l’Isle de France tentaient l’impossible : ils volaient des pirogues de pêche et prenaient la mer pour rejoindre Madagascar. Une île beaucoup plus grande où les fugitifs étaient beaucoup plus difficiles à retrouver. Cependant, la majorité des embarcations n’arrivaient jamais à Madagascar. L’Océan les retournait et les cadavres de ces femmes, hommes et enfants étaient retrouvés sur le rivage. Comment ne pas penser à la Méditerranée d’aujourd’hui  ? À ces corps inertes que l’on découvre sur les plages de Grèce, d’Italie, d’Espagne et des Canaries. Le réalisateur filme à dessein des scènes tragiques comparables qui interrogent la mauvaise conscience occidentale et le cynisme des puissants.

Pour autant, le récit ne se limite pas à une vision pessimiste de la nature humaine et à la fatalité. Frantz Fanon a démontré que la destruction mentale du colonisé est d’abord la destruction de sa fierté et de son amour de soi : Massamba et Mati ne se résignent pas à leur sort, ils cherchent à se construire un monde, un destin autre que celui qui leur était assigné dans le rapport de production esclavagiste. En ce sens, Simon Moutaïrou signe une œuvre cinématographique marquante, dense, nécessaire.

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