La pièce représentait un François Iᵉʳ immoral, violeur impuni. Ce tableau inadmissible à la royauté et aux mœurs, suscite la réaction indignée du pouvoir politique, de la presse et du public. La « pièce monstrueuse » qui mêle « l’horrible, l’ignoble et l’immoral » (selon de nombreuses presses royalistes) est interdite après une unique et tumultueuse représentation. Elle marquera le retour de la censure répressive abolie par Louis-Philippe alors que la charte constitutionnelle établissait en 1830 que « la censure ne pourrait jamais être rétablie. »
Hugo contrattaque : il reproche au Théâtre-Français d’avoir cédé aux pressions royales pour émettre un jugement illégal et inique. Il leur intentera un procès portant ainsi dans les prétoires la question de la liberté d’expression dans l’Art. Le procès est perdu, mais il fait naître une effervescence considérable autour du retour d’Hugo au théâtre, et suscite l’attente autour de sa future pièce, Lucrèce Borgia.
La revanche d’Hugo
Le 2 février 1833, le public se presse à nouveau devant le théâtre de la Porte-Saint-Martin pour applaudir le dernier drame de Victor Hugo qui remporte, lui, un succès des plus retentissants. Lucrèce Borgia symbolise la victoire d’Hugo face à la censure, sa pièce se mesure à l’aune de l’échec, non moins retentissant, du drame qui l’a immédiatement précédé dans sa carrière.
Le public est conquis, l’effort de mise en scène force même ses détracteurs à la qualifier de « majestueuse et fascinante ». L’équipe du théâtre de la Porte-Saint-Martin épaule Hugo jusque dans les moindres détails : les décors, les costumes, la musique. Le théâtre propose même ses meilleurs interprètes, ce qui fut un point clé pour mettre le jeu à la hauteur des enjeux esthétiques.
Exploiter « l’intention politique » du théâtre
La dimension spectaculaire de l’œuvre est ainsi soulignée par tous ces détails. Bien que Hugo s’inspire de Shakespeare pour l’écriture de son drame, il s’en détache pour la mise en scène afin de créer son « voir ou ne pas voir » telle sera la question.
De fait, le nouveau drame a tout pour séduire : une intrigue captivante, une mise en scène digne des grands spectacles, des acteurs en vue. Les foules se ruent pour assister aux malheurs de l’incestueuse et criminelle Lucrèce Borgia, fille du pape, et amoureuse d’un fils conçu avec son frère, qu’elle a fait élever en secret et qui ignore son origine…
Par le jeu, Hugo veut exploiter « l’intention politique » du théâtre. Comme il l’écrit dans la préface de Lucrèce Borgia :
« Le théâtre, on ne sait trop le répéter, a de nos jours une importance immense, et qui tend à s’accroître sans cesse avec la civilisation même. Le théâtre est une tribune. Le théâtre est une chaire. Le théâtre, c’est une grande et sérieuse chose. L’auteur sait que le drame, sans sortir des limites impartiales de l’art, a une mission nationale, une mission sociale, une mission humaine ».