Christian Planchais [1] :Dans quelle mesure Pourriture ! peut être lue, mise en scène et regardée comme une fable politique sur l’ultralibéralisme et le consumérisme ?
Philippe Lacoche [2] :Vous avez tout à fait raison : sous ses dehors totalement cinglés, barrée, absurde, il s’agit d’une pièce extrêmement marxiste ; c’est une charge contre l’ultralibéralisme mais aussi contre les dérives du wokisme, dont l’ultra féminisme qui dessert la cause féministe si importante et essentielle.
C.P. :Autre cible de Pourriture ! : le féminisme radical et ses dérives. Qu’est-ce qui, dans le féminisme contemporain, relèverait selon vous d’une vision caricaturale des relations femmes-hommes ?
Ph.L. : Comme je le disais, le féminisme radical tue cette belle et noble cause qu’est le féminisme. Ce dernier ne doit pas dériver vers la guerre femmes-hommes. On est pourtant si complémentaires ; on s’assemble si bien et c’est tellement agréable…
C.P. : Dans Les ombres des Mohicans (éd. du Rocher), votre dernier roman qui s’est vu décerner – tout comme Oh, les filles !, recueil de nouvelles paru chez Héliopoles – le prix Henri de Régnier de l’Académie française, on retrouve Pierre Chaunier, déjà présent dans Mise au vert et Le chemin des fugues (éd. du Rocher ; Prix des Hussards 2018). Chaunier sonne comme la contraction de Chauny et Tergnier, deux villes de l’Aisne auxquelles vous êtes manifestement attaché. La ville de Tergnier, où vous avez grandi, est d’ailleurs présente dès votre premier recueil de nouvelles, Cité Roosevelt, (paru au Dilettante en 1993). Pouvez-vous nous en dire plus sur cet attachement à l’Aisne, et plus largement, à la Picardie ?
Ph.L. : J’ai passé toute mon enfance et mon adolescence à Tergnier, ville cheminote, très ouvrière, souvent très à gauche au cours de son histoire politique, détruite, martyrisée par nos bons amis d’Outre-Rhin qui ne lui ont rien épargné. (En 1917, ils ont tout rasé et ont laissé trois maisons afin de loger l’état-major car ils comptaient revenir, ces têtes de Huns ! Ils ne sont pas revenus ; on est en droit de ne pas le regretter.) J’aime cette ville pour ses blessures. Il en est de même pour l’Aisne et la Picardie, truffées de cimetières militaires. Ce sont des terres gorgées de sang ; la nuit, quand je me promène seul à travers champ, j’entends les cris des soldats blessés ou à l’agonie. C’est aussi ça la France que j’aime. Celle qui a su résister aux envahisseurs, notamment à ces pourritures de nazis.
C.P. : Vos fidèles lecteurs connaissent votre goût pour le courant littéraire des Hussards (Antoine Blondin, Kléber Haedens, Roger Vailland …). À l’inverse, le Nouveau roman en prend pour son grade dans Les ombres des Mohicans, ainsi que dans votre brillant essai Je suis Picard mais je me soigne (éd. Héliopoles), où vous glissez quelques confidences autobiographiques sur vos années lycée à Saint-Quentin. Il semblerait que quelques profs post-soixante-huitards aient tenté de vous initier à Robbe-Grillet, Michel Butor et consorts. En vain ! Pouvez-vous nous expliquer ce manque d’enthousiasme à l’égard du Nouveau roman ?
Ph.L. : Vous avez bien lu ! Lorsque je suis arrivé au lycée Henri-Martin, à Saint-Quentin, en septembre 1971, une professeure de français qui venait de Paris et ressemblait à Albertine Sarrazin, tentait de nous initier au Nouveau roman. Ça me tombait des mains. Je trouvais ça désincarné, clinique, froid comme les joues d’un technocrate pro européen et ultralibéral. Un matin, je suis tombé sur Ernest le Rebelle, un roman de ce vieux royaliste, patriote, résistant et réac : Jacques Perret, immense écrivain. J’ai adoré ; j’ai appris qu’il était très prisé par les auteurs d’un courant littéraire que je ne connaissais pas : les Hussards. Je me suis mis à lire ces derniers avec un plaisir immodéré. Ce qui compte, c’est la bonne littérature ; la littérature dépasse et de loin les querelles politiques. J’aime autant ce vieux communiste de Roger Vailland que ce vieux réac de Kléber Haedens. Du reste, ces deux-là s’estimaient.
C.P. : Votre remarquable essai, Je suis Picard mais je me soigne (éditions Héliopoles), semble s’appuyer sur vos expériences personnelles et professionnelles. Vous avez passé enfance et adolescence dans l’Aisne ; vous résidez actuellement dans la Somme (où vous avez longtemps œuvré au sein du Courrier Picard), et vous connaissez fort bien l’Oise, troisième département du fief picard.
Ph.L. : Exact ! J’aime cette région qui n’est certes pas la plus jolie de France, mais je l’aime comme une mère, comme une femme. Comme j’aime la France dans son ensemble. Je suis un Français définitif, sans nationalisme aucun. Cependant, ça continue d’être mal vu en ces époques de mondialisation débridée. Peu m’en chaut !