Nommé le 19 février 2016 par le président de la République, François Hollande, Laurent Fabius arrive au terme de son mandat de président (neuf ans) du Conseil constitutionnel. C’est la même chose pour Corinne Luquiens, proposée par le président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone en 2016, et pour Michel Pinault, conseiller d’État et ex-dirigeant d’Axa, proposé la même année par le président du Sénat Gérard Larcher.
Le procédé est toujours le même : le président de la République propose un nom pour le président du Conseil constitutionnel, les présidents, ou présidentes, de l’Assemblée nationale et du Sénat donnent leurs choix pour les huit autres membres. Et les noms qui sortent sont le plus souvent du même bord politique que leurs « parrains ». Pourquoi se gêner ? « La France, rappelle Lauréline Fontaine, professeure de droit public et constitutionnel à la Sorbonne Nouvelle, est l’un des seuls pays au monde à ne poser aucune condition pour l’entrée dans une cour constitutionnelle ou suprême. » Nul besoin, par exemple, d’avoir des connaissances en matière de droit. D’autre part, et contrairement à ce qui est imposé aux hauts fonctionnaires, on ne demande pas aux membres de l’institution de présenter un extrait de casier judiciaire, pas plus qu’une déclaration de patrimoine ou d’intérêt. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique n’intervient pas.
Ferrand : un fidèle de la macronie qui coche toutes les cases
Voilà qui tombe plutôt bien pour Richard Ferrand. Il n’est absolument pas juriste et encore moins spécialiste du texte de la Constitution. Mais il est un proche de la première heure du président Macron, il a été président de l’Assemblée nationale (de 2018 à 2022), il a perdu son mandat de député du Finistère aux élections législatives de 2022 et s’est reconverti dans le conseil. Il est plus que jamais un fidèle du chef de l’État et un homme influent pour ce que l’on appelle la macronie.
Qu’il ait eu des soucis pour prise illégale d’intérêt dans les Mutuelles de Bretagne n’a aucune importance. D’ailleurs, l’affaire s’est conclue par un non-lieu, les faits étant prescrits ! Le choix d’Emmanuel Macron suscite des remous ? Peu importe. Depuis la création du Conseil constitutionnel, au début de la Vᵉ République, « les différentes autorités de nomination ont plutôt tendance à nommer des gens de profils similaires, des hommes blancs âgés de plus de 60 ans qui, en général ont une carrière politique derrière eux ou ont partie liée avec l’exercice du pouvoir sans que la question des qualifications, en droit par exemple, ne se pose, ou soit exigée. » dit encore Lauréline Fontaine. Cela tombe bien, le futur successeur de Laurent Fabius est un homme blanc de 62 ans et coche toutes les cases.
Parmi les neuf « sages », ainsi faut-il les appeler, les deux autres conseillers sortants, Corinne Luquiens et Michel Pinault, verront leurs sièges occupés par respectivement Laurence Vichnievsky, ex-députée (MoDem) du Puy-de-Dôme et ex-magistrate (proposée par la présidente de l’AN, Yaël Braun-Pivet), et par Philippe Bas, sénateur LR de la Manche, sur proposition du président du Sénat.
Rue de Montpensier, siège du Conseil constitutionnel au Palais Royal, ils retrouveront les six autres membres, tous proches du pouvoir : Véronique Malbec (macroniste et ancienne directrice de cabinet d’Éric Dupont-Moretti, nommée au Conseil par… Richard Ferrand en 2022), François Seners (ex-directeur de cabinet de Rachida Dati lorsqu’elle était Garde des Sceaux), Alain Juppé (ex-Premier ministre chiraquien devenu macro-compatible), François Pillet (ex-sénateur LR), Jacqueline Gourault (ex-sénatrice Modem et ex-ministre de la Cohésion du Territoire d’Emmanuel Macron), Jacques Mézard (ex-ministre de l’Agriculture puis de la Cohésion du Territoire d’Emmanuel Macron.
Le Conseil interprète le texte constitutionnel
Vu de l’extérieur, une telle organisation pourrait faire sourire tant on peut douter de l’impartialité de cette institution. Il se trouve que cette dernière est très politique. Sa première compétence porte sur le contrôle de la constitutionnalité des lois. Elle doit donc juger en fonction du texte de la Constitution (qui, ne l’oublions pas, est lui-même un texte politique). Ce faisant, elle est amenée à interpréter ce texte. Or, si tous les membres du Conseil sont d’accord sur l’essentiel et apparaissent comme un soutien au pouvoir en place, on peut raisonnablement douter de ses choix.
Très concrètement, on l’a constaté en avril 2023, lorsqu’il a été saisi par le président du Sénat concernant la réforme de la retraite. S’il a rejeté six mesures mineures (dont l’index senior et le CDI senior), il a validé l’essentiel du texte, dont le recul de l’âge légal de départ à 64 ans. Avec l’arrivée de Richard Ferrand à la tête de l’institution, on peut nourrir une crainte importante quand on connaît sa proximité avec Emmanuel Macron. Le président du Conseil constitutionnel détermine en effet qui sera rapporteur des lois qui seront par la suite examinées par le Conseil. Le risque d’influencer sur les délibérations est grand.
Quid de la « République sociale » dans les critères du Conseil ?
L’institution a aussi des compétences en matière électorales. Elle a capacité à juger en matière des élections référendaires, législatives et présidentielles. On sait qu’Emmanuel Macron souhaite utiliser le référendum. Par ailleurs, le Conseil valide les candidatures à la présidence de la République et détermine si les candidats remplissent les critères. Si l’on suppose que Emmanuel Macron, moyennant une démission au cours de son mandat actuel, veuille prétendre à un troisième mandat. Nous voilà face à une question parfaitement constitutionnelle. La philosophie du président du Conseil constitutionnel et de l’ensemble des « neuf sages » ne manquerait pas d’influer sur leur réponse.
Enfin, un autre argument doit nous alerter sur le rôle et sur l’impartialité supposée de cette institution. L’article 1 de notre constitution dispose que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Quand a-t-on vu le Conseil constitutionnel appliquer l’idée d’une « République sociale » pour contrôler la conformité d’une loi ? Jamais. Bien sûr, on peut attendre les conclusions des auditions qui vont se tenir ce mercredi 19 février. Mais jusqu’à présent, aucune commission parlementaire ne s’est opposée à la nomination d’un membre du Conseil constitutionnel. « Il faudrait de toute façon une majorité de blocage des trois cinquièmes des suffrages exprimés », souligne la juriste Lauréline Fontaine. Autant dire que c’est mission impossible.