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Antonin Albert/shutterstock
Projet de réforme de l'audiovisuel public

Rachida Dati ose un hold-up pour une holding

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Mise à jour le 1er août 2025
Temps de lecture : 7 minutes

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Gouvernement Média

Sans aucune retenue, avant les vacances parlementaires, la ministre de la Culture Rachida Dati a eu recours au vote bloqué, le 11 juillet, pour faire adopter son projet de réforme de l’audiovisuel public par le Sénat. Retour sur le sens, ou le non-sens, d’une holding entre France Télévisions, Radio France et l’INA.

Rachida Dati ose tout. Alors que l’Assemblée nationale avait rejeté son projet de holding du service public de l’audiovisuel, elle a fait appel à l’article 44.3 de la Constitution lors de l’examen du texte par le Sénat. Du presque jamais vu dans cette assemblée. Cet article (qui évoque le célèbre 49.3) permet d’éviter l’examen des amendements présentés par les parlementaires et, en l’occurrence, à obliger les sénateurs, lors de la séance du 11 juillet, à ne se prononcer que sur leur approbation ou leur refus du texte. Évidemment, le texte soutenu par la ministre de la Culture a été adopté. Il repassera, à partir de la rentrée de septembre, devant les députés.

Cet épisode révèle au moins une vérité : le projet du gouvernement ne fait pas l’unanimité. Pire, il soulève de nombreuses craintes, à raison. Il n’est pas nouveau. À l’origine, l’idée remonte au quinquennat de Nicolas Sarkozy. Il a été repris par Emmanuel Macron. Le fait qu’il soit défendu aujourd’hui par Rachida Dati ne peut laisser personne indifférent.

Un service public plus fort, mais contre quoi ?

La ministre, maintes fois interrogée par les médias, s’avère incapable d’argumenter le bien fondé de la réforme qu’elle porte. Elle élude, attaque, agresse. Les tenants du projet de réforme peuvent dire que l’attitude et le comportement de Mme Dati (par exemple lorsqu’elle menace un journaliste en direct) n’a pas de rapport avec le texte prévoyant une holding. Personne ne peut être dupe. L’historien des médias, Alexis Lévrier, ne s’y trompe pas. L’auteur de Jupiter et Mercure, le pouvoir présidentiel face aux médias (éd Les Petits Matins - 2021), estime n’avoir aucun exemple analogue dans l’histoire même de l’ORTF.

En clair, la façon d’être et de faire de Rachida Dati ne peut qu’inquiéter quant à l’avenir si l’extrême droite venait à accéder à l’Élysée. Car c’est bien le sujet qui inquiète à travers cette holding. Pour Rachida Dati, qui ne fait que répéter des éléments de langage, le regroupement de France Télévisions, Radio France et l’INA rendrait le service public plus fort. Plus fort contre quoi ? Contre les géants du numérique et les plateformes et l’intelligence artificielle qui sont autant de concurrents redoutables et de menaces à terme. C’est en ce sens, explique le sénateur centriste Laurent Lafon, par ailleurs président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication au Sénat, qu’un premier rapport préconisant la création d’une holding a été déposé en 2015. Il rappelle que les auditeurs et téléspectateurs classiques quittent les médias traditionnels pour les plateformes.

« Depuis, renchérit Nathalie Sonnac, interrogée par France Inter, le paysage de l’audiovisuel a beaucoup changé et les jeunes de 18-25 ans s’informent sur TikTok. » Cette spécialiste en économie des médias et du numérique, ex-membre du CSA, évoque aussi le climat de défiance du public envers les médias. Elle plaide pour un opérateur unique et rappelle que le président de France TV a négocié avec Amazon pour que celle-ci distribue ses programmes sur sa plateforme. Mais pour Alexis Lévrier, le virage du numérique a déjà été pris. « 50 % des podcasts téléchargés chaque jour, secteurs public et privé confondus, viennent de Radio France. Cette dernière n’a pas attendu la création d’une holding. »

Le problème : les coupes budgétaires

Le problème, pour lui, réside dans les coupes budgétaires et la fin de la redevance audiovisuelle. Le premier quinquennat Macron s’est soldé par une perte de 60 millions d’euros du budget de Radio France, soit 10 %. Résultat, des chaînes comme « Le Mouv’ », pour le public jeune, s’éteignent. À ce propos, vouloir créer une sorte de BBC à la française n’a pas de sens. La BBC fonctionne avec un budget (7 milliards d’euros annuels dont 4,5 milliards de fonds publics) beaucoup plus important que ce qui existe en France, même si son avenir n’est pas garanti.

Pourquoi alors veut-on réformer les médias qui résistent face à un contexte économique difficile ? Une direction unique entre France Télévisions, Radio France et l’INA ne serait pas un bon signe, expliquent les adversaires du projet. L’attitude de l’actuelle ministre de la Culture ne présage rien de bon. Mais, en cas de l’arrivée d’un pouvoir autoritaire, l’indépendance et le pluralisme seraient en grand danger. Au Rassemblement national, Jordan Bardella ne se cache pas de vouloir privatiser le service public de l’audiovisuel. Dans cette hypothèse, on devine que l’information, notamment le journalisme d’investigation, serait sur la sellette. Même chose pour l’humour. Curieusement, France Inter s’exerce déjà à des restrictions dans ces domaines (« Secret d’info » passe du rythme hebdomadaire au rythme mensuel à la rentrée et les humoristes ont également connu des suppressions d’émissions).

Dans l’hypothèse d’un service public transformé en mastodonte à direction unique (la holding), les adversaires de la réforme craignent le rétablissement d’une courroie de transmission directe entre le pouvoir et l’information du service public. Alexis Lévrier ne manque pas de le rappeler. « C’est une tradition de la Vème république », dit-il en substance. En son temps, De Gaulle aurait confié à son ministre de l’Information Alain Peyrefitte (de novembre 1962 à janvier 1966) : « La presse est contre moi, la télévision est à moi. » Soixante ans plus tard, le macronisme apparaît plus complexe. Mais dès décembre 2017, Emmanuel Macron s’en est pris aux programmes, au contenu, aux dirigeants et aux journalistes des chaînes publiques en estimant qu’ils étaient une « honte pour nos concitoyens ». Il s’est plus tard attaqué aux émissions d’investigation avant de lancer les coupes budgétaires.

Certes, son ancienne ministre de la Culture Rima Abdul-Malak a plutôt défendu l’audiovisuel public. Lors de l’audition sur le contrôle des fréquences de la TNT, elle s’est positionnée contre le projet de holding, comme l’ont fait ses ex-collègues Jacques Toubon, Renaud Donnedieu de Vabres, Fleur Pellerin et Roselyne Bachelot.

Mais le positionnement et la hargne de Rachida Dati changent la donne. D’autant que, lors de la séance du Sénat du 11 juillet, le sénateur (LR) Max Brisson a déclaré, droit dans ses bottines, que « l’audiovisuel public doit cesser d’être un contre-pouvoir ».

Sur les intentions du pouvoir macroniste, tout semble donc dit. Rendez-vous à la rentrée parlementaire.

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