Une provocation politique ?
À lire la presse nationale hexagonale, il s’agirait pour le dirigeant russe de rappeler à son voisin d’Asie centrale des liens anciens dans une stratégie de contournement de l’isolement diplomatique imposé à la Russie depuis 2014 par l’Occident. Pire, Poutine s’offrirait à moindres frais l’occasion d’un pied de nez à la communauté internationale, la Mongolie ayant ratifié le traité de Rome sur la Convention de la CPI (Cour pénale internationale). Sous le coup d’un mandat d’arrêt international depuis l’entrée des troupes russes en Ukraine en 2022, les autorités mongoles pouvaient théoriquement arrêter le président de la Fédération de Russie.
La Mongolie est un pays enclavé qui n’a pas de tradition démocratique ancienne, à l’image de la plupart des républiques d’Asie centrale. Pour autant, depuis les années 1990, elle est entrée dans un processus de démocratisation à travers un régime de plus en plus parlementaire et conforme au modèle libéral. La ratification de nombreux traités internationaux caractérise ainsi sa volonté de satisfaire aux normes onusiennes. Il est donc possible de s’étonner d’une visite embarrassante pour la Mongolie, voire de s’interroger sur le caractère contraint de celle-ci. Simplement, c’est faire fi de la fierté nationale d’un pays qui aime à rappeler qu’avec l’aide de l’Armée rouge et du général Joukov, il a repoussé une offensive japonaise en 1939, à l’époque où le pays du soleil levant prétendait soumettre ses voisins continentaux. La symbolique des cavaliers mongols et de Gengis Khan n’était d’ailleurs pas absente des cérémonies.
Un choix géopolitique eurasiatique
La Mongolie est historiquement sous une double influence russe et chinoise, politique et économique. C’est le cas dans le secteur de l’énergie où le pays n’est pas autosuffisant. Ainsi, 20 % de son électricité est importée de Russie. D’ailleurs, un contrat a été signé entre Moscou et Oulan-Bator pour la rénovation et l’agrandissement d’une centrale thermique dont le pays à grand besoin. Nous pourrions en déduire une relation de domination de la Mongolie au profit de la Russie. La relation est pourtant duale : la Russie doit ménager son voisin car elle n’a pas renoncé à la construction du gazoduc « Force Sibérie II » pour permettre à Gazprom d’exporter massivement son gaz en Chine. La géographie est là : il faut passer par la Mongolie. Poutine a intérêt à un partenariat resserré avec Oulan-Bator.
À ne voir qu’une provocation dans sa visite, les médias occidentaux semblent méconnaître la géopolitique du XXIe siècle : le basculement du monde vers l’Asie-Pacifique. Ce déplacement du centre de gravité de la croissance mondiale au détriment du tropisme atlantique ouvert en 1492. La Russie, elle, ne l’ignore pas qui considère comme une menace l’avancée de l’OTAN près de ses frontières occidentales. La Mongolie non plus qui peut espérer des retombées économiques du partenariat russe comme du projet chinois des « routes de la soie ». Plus que jamais, il est nécessaire de décentrer notre regard européen si nous voulons comprendre les évolutions du monde.