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Antonin Albert/shutterstock
France-Algérie

Pourquoi une telle brouille ?

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Mise à jour le 10 juin 2025
Temps de lecture : 7 minutes

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Gouvernement Algérie

Comment faut-il comprendre ce qu’il se passe entre l’Algérie et la France ? L’imbroglio tissé au sein du gouvernement de François Bayrou semble hors norme. Au risque de nous répéter, nous tentons une réexplication.

Le 8 avril, nous écrivions sur le retour de la diplomatie après « huit mois d’une crise inédite » entre Alger et Paris. La rencontre du ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot avec son homologue algérien Ahmed Attaf et avec le président Abdelmadjid Tebboune semblait en effet avoir mis fin à la crise diplomatique entre les deux pays. Il n’en est rien. Deux semaines après cette visite à Alger qui suivait elle-même un entretien téléphonique (le 31 mars) entre les deux présidents, tout est de nouveau par terre.

En cause : l’arrestation d’un agent consulaire algérien sur le sol français. La justice française lui reproche, ainsi qu’à deux autres ressortissants algériens, l’enlèvement d’un influenceur, Amir Boukhors, alias Amir DZ, lui aussi algérien, et présenté comme un opposant au gouvernement de son pays. Cette triple arrestation par la police française est parfaitement logique. Elle intervient après une plainte de l’intéressé qui dit avoir été enlevé et séquestré en avril 2024. Les trois algériens arrêtés ont été mis en examen pour, selon le parquet national antiterroriste français, « enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivie de libération avant le 7ᵉ jour, en relation avec une entreprise terroriste, ainsi que pour association de malfaiteurs à caractère terroriste ». Ils ont été placés en détention provisoire.

Un calendrier fruit du hasard ?

La charge est lourde, d’autant qu’elle vise un agent consulaire algérien. Mais le calendrier est pour le coup très malheureux. L’arrestation intervient un an après les faits et, surtout, juste après le retour à Paris du ministre Jean-Noël Barrot. Ce dernier revient en étant certain d’avoir permis de tourner la page d’une crise diplomatique très grave et les médias, en France, assurent que le président algérien entend renouer avec de bonnes relations (même si elles sont toujours compliquées) avec la France. Ce calendrier est-il réellement le fruit d’un hasard malencontreux ? Nous pouvons opter pour la naïveté. Or, elle fait peu partie du langage et de la logique diplomatique.

En tout cas, la réaction des autorités algériennes n’a pas tardé. Douze fonctionnaires français ont été priés de quitter le sol algérien pour regagner Paris. Ces fonctionnaires dépendent du ministère de l’Intérieur dirigé par le très conservateur et peu accommodant Bruno Retailleau. Celui-ci, présenté par des observateurs algériens comme un « nostalgique de l’Algérie française », avait été visiblement mis sur le banc de touche pendant la tentative de rétablissement des relations entre les deux pays. Le voici qui revient sur la scène pour se féliciter de la décision française de renvoyer à son tour douze agents algériens et de rappeler son ambassadeur pour consultation.

Tout semble fait pour rendre la situation plus explosive que jamais et pour anéantir les tentatives de réconciliation. Il serait illusoire de croire que la force pourrait fonctionner pour faire plier l’exécutif algérien. Mais pour en revenir au calendrier de ce curieux renversement des choses, il faut rappeler que le magazine Marianne a publié, dans son édition papier datée du 27 mars, un article de trois pages intitulé : « L’ombre de l’Algérie derrière des opérations secrètes en France. » L’article est surtitré : « Révélations ».

Les « révélations » de Marianne

On y lit que « plusieurs opposants au régime d’Abdelmadjid Tebboune lui imputent des actions particulièrement inquiétantes sur le sol français et européen. La traque des dissidents semble ne plus connaître de frontières » écrit l’hebdomadaire en évoquant « Intimidation, espionnage, et même enlèvements. » À aucun moment, l’article de Marianne ne cite le cas de l’influenceur algérien Amir Boukhors (Amir DZ). Ce dernier n’est pas un simple opposant au régime algérien. Réfugié en France depuis 2016, après un passage par l’Allemagne, il fait l’objet de neuf mandats d’arrêt internationaux de la part d’Alger. La France a refusé la demande d’extradition formulée par Alger et lui a accordé le statut de réfugié politique en 2023.

En principe, le statut de réfugié politique interdit à celui qui en bénéficie de se livrer à des actions politiques contre son pays d’origine. Pourtant, il dénonce sans cesse, via des vidéos postées sur les réseaux sociaux, la corruption au sein du pouvoir algérien. Il s’en prend également et nommément au président Tebboune. La loi algérienne interdit et sanctionne les attaques contre le chef de l’État. Amir Boukhors le sait, mais il est suivi par des millions d’internautes.

Amir DZ et le Rachad

Surtout, l’influenceur, qui se présente comme un « journaliste d’investigation », s’est rapproché du mouvement islamiste Rachad lors du grand mouvement de protestation algérien « Hirak », qui s’est déroulé de 2019 à 2021. Fondé à Londres en 2007 par cinq Algériens, il se veut « non violent » et a pour ambition d’apporter un « changement radical en Algérie. » Le Rachad, proche de l’ancien Front islamique du salut (FIS), a tenté d’infiltrer le Hirak. Quand on sait le mal et les innombrables crimes qu’ont commis les islamistes et leurs branches armées durant la « décennie noire », on ne peut qu’être circonspect devant un tel influenceur dit journaliste d’investigation et aujourd’hui réfugié politique en France.

De ce personnage, l’article de Marianne ne fait pas mention. En revanche, il recueille abondamment le témoignage d’Hichem Aboud, lui aussi poursuivi par les autorités algériennes et qui se dit menacé par elles sur le sol européen. Hichem Aboud est un ancien officier des services secrets algériens (Marianne écrit juste « ancien officier de l’armée algérienne ») qui était en fonction en 1988, lors de la révolte de la jeunesse algérienne. Il était alors proche du redoutable général Mohamed Betchine, chef des services secrets, l’un des artisans de la répression du mouvement de 1988 et par la suite, dans la seconde partie des années 90, conseiller politique du président Liamine Zéroual.

Devenu fervent opposant contre le régime algérien dans les années 2000 et très virulent contre l’ancien président Bouteflika, favorable à la marocanité du Sahara occidental, Hichem Aboud règle apparemment ses comptes via le magazine désormais dirigé par Frédéric Taddeï.

Dans ce puzzle des relations franco-algériennes, on ne peut précisément oublier la déclaration en novembre dernier d’Emmanuel Macron assurant que « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivaient dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Il eut été si simple d’en rester à la ligne française qui jusque-là s’en tenait au droit international. Le président a pris le risque de froisser durablement l’Algérie. Dans quel but ? Peut-être pour compter sur le Maroc qui pourrait aider la France à retrouver de l’influence sur le Sahel.

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