Face à un pouvoir algérien qui se crispe aisément, le président français et le gouvernement de François Bayrou semblent se complaire à jeter de l’huile sur le feu. Certes, Emmanuel Macron a montré sa volonté, au début de son premier mandat, de travailler en bonne intelligence avec l’Algérie alors que la situation politique n’offrait pas le meilleur terrain diplomatique (révolte populaire Hirak, départ du président Bouteflika, raidissement de l’état-major de l’armée, élection de Abdelmadjid Tebboune). En se rendant à Alger en août 2022, il veut œuvrer à la détente en reconnaissant la responsabilité de l’armée française dans la mort du mathématicien Maurice Audin et de l’avocat nationaliste Ali Boumendjel. Il assure aussi le président algérien de l’amitié française.
Mais si la crispation entre les deux pays persiste, elle va trouver un rebondissement en juillet 2024 lorsque le président français se rallie au roi du Maroc sur la question du Sahara occidental. Il met ainsi fin à trente ans de diplomatie française en faveur de l’autodétermination du peuple sahraoui. Il le fait alors qu’Alger prépare l’élection présidentielle prévue quelques mois plus tard, en septembre. C’est ce qui s’appelle mettre les pieds dans le plat.
Une série de mesures pour accentuer la pression sur Alger
On connaît la suite. Tandis que le président du Sénat, Gérard Larcher, se rend au Sahara occidental, déclenchant la fureur du Conseil de la nation (le Sénat algérien) qui rompt ses relations avec son homologue français, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau entre en scène. Il se fâche sur les épisodes des Obligations de quitter le territoire (OQTF) et du refus de l’Algérie de recevoir les ressortissants algériens concernés. Il y a d’abord le cas de l’influenceur Doualemn puis celui de l’auteur de l’attentat de Mulhouse, le 22 février.
À l’occasion de la tenue d’un comité interministériel du contrôle de l’immigration (Cici, une instance ressuscitée par le ministre de l’Intérieur), le 26 février à Matignon, une note des services de Bruno Retailleau qui devait rester confidentielle, est révélée par La Tribune Dimanche. Elle est intitulée « Crise politique avec l’Algérie : de la nécessité d’engager un rapport de force ». Sur trois pages, elle constate la dégradation des relations franco-algériennes sur les plans diplomatique, sécuritaire et migratoire. Elle liste une série de mesures pour accentuer la pression sur Alger : restriction massive des visas pour la « nomenklatura » algérienne, voire l’ensemble de la population, restriction du droit de circuler en France des responsables économiques et militaires, action contre les compagnies aériennes et maritimes, contrôles renforcés aux frontières, convocation des consuls généraux d’Algérie par le Quai d’Orsay et la place Beauvau, etc. Ce n’est qu’à la fin de ce rapport qu’est évoquée la remise en cause de l’accord de 1968.
Cet accord avait été signé pour faciliter la circulation des ressortissants algériens, leur séjour et leur emploi en France. C’est un texte qui relève du droit international. Selon l’historien Benjamin Stora, il visait à attirer une main d’œuvre algérienne (durant les trente glorieuses) tout en maîtrisant les flux migratoires. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un accord bilatéral que le Premier ministre François Bayrou, le ministre de la Justice Gérald Darmanin et le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau voudraient rayer d’un trait de plume et de façon unilatéral. Même le président Macron les rappelle à l’ordre en soulignant que cet accord relève du président de la République et ne peut être revu qu’avec son homologue algérien. En 2022, il avait d’ailleurs acté, avec Abdelmadjid Tebboune, la renégociation et la modernisation de texte. Certainement pas sa disparition.
Méconnaissance de la réalité juridique et historique
Évidemment, Alger n’apprécie pas le procédé et promet, en cas de dénonciation du texte, une réciprocité immédiate aux restrictions de mobilité. Il rejette l’ultimatum posé par François Bayrou (un mois à six semaines pour qu’Alger change d’attitude en matière de « reprise » de ses ressortissants indésirables par la France).
Mais surtout, les coups de mentons contre le texte de 1968 sont surfaits. Les menaces de remise en cause sont une habitude de la droite et de l’extrême droite. Pour L’Union des avocats franco-algériens (UAFA), la vision présentant l’accord comme un avantage particulier pour les ressortissants algériens souhaitant s’installer en France ou accéder à l’emploi, « reflète une méconnaissance totale de la réalité juridique et historique, et relève davantage du mythe que des faits ».
Par exemple, depuis 1994, « le visa long séjour est extrêmement difficile à obtenir pour les Algériens, rendant leur installation en France quasi impossible. Idem pour le regroupement familial qui s’apparente à un véritable parcours du combattant pour les familles algériennes. »
Dans un communiqué publié le 16 janvier, l’UAFA précise que, « contrairement aux ressortissants d’autres nationalités qui peuvent obtenir un titre de séjour à 13 ans, les mineurs algériens doivent avoir été présents en France avant l’âge de 10 ans pour y prétendre à leur majorité. S’agissant des étudiants algériens, ces deniers sont tenus de quitter le territoire français à l’issue de leurs études, alors que les étudiants d’autres nationalités bénéficient d’un titre de séjour leur permettant de rechercher un premier emploi. »
En outre, depuis la réforme en droit des étrangers du 7 mars 2016, l’accord franco-algérien gèle la situation d’entrée, de séjour et de travail des Algériens. Alors que les préfets peuvent délivrer de nouvelles cartes de séjour pluriannuelles (« passeport talent », « travailleurs saisonniers », « salarié détaché ICT » et « générale »), ces cartes ne sont pas destinées aux Algériens. Ces modifications, souligne l’UAFA, aurait pu être l’occasion pour les autorités algériennes et françaises d’écrire un nouvel avenant à l’accord de 1968. À ce jour, il n’en est rien.