Il est 9 heures, en ce matin froid et pluvieux du 24 janvier. Le vent pousse fort, la grisaille domine le ciel et la mer. Pas de quoi décourager les Dunkerquois qui chaque jour, dès l’aube, se pressent devant les aubettes, ces petites maisonnettes couleur rouille où l’on trouve du poisson frais pêché dans les eaux du Nord.
C’est dans l’une d’entre elles que l’on rencontre Pauline, qui vend les moules du bateau L’Épaulard. Un élevage local de moules de cordes qui existe depuis « environ 15 ans » selon la commerçante qui présente ses produits avec fierté. Ouvert du mardi au samedi, son étal connaît un grand succès, avec des habitués conquis et des touristes qui viennent avec curiosité goûter au patrimoine culinaire du Nord de la France. Et L’Épaulard n’est pas le seul à attirer les gourmands. Plus loin, l’aubette de l’Alexis III tenue par Laurent connaît le même succès avec ses soles, ses crabes et autres produits de la mer. Pourtant, malgré une clientèle fidèle et un savoir-faire de qualité, ces commerçants se disent inquiets.
Ici, comme dans de nombreux ports en Europe, la pêche dite artisanale se voit menacée par la baisse drastique du nombre de prises ces dernières années, conséquence directe de la surpêche. Épargnée par ce phénomène qui ne touche pas son exploitation de moules, Pauline l’atteste, les ressources se font tellement rares que les « pêcheurs sont obligés de se délocaliser », à l’image de l’Alexis III qui doit désormais pêcher à Dieppe, en Normandie, pour continuer à exercer son activité. « Y’a plus de ressources à Dunkerque » affirme Laurent, qui explique avoir dû diversifier son armement face à la concurrence de la pêche industrielle et dit être obligé de transporter ses prises en camion depuis la Normandie pour continuer à vendre son poisson place du Minck. Une situation qui dure depuis plusieurs dizaines d’années et dont les conséquences sont visibles ici-même. « On n’est plus que trois » fait remarquer Laurent, nous montrant les seules aubettes ouvertes parmi les huit disponibles. En effet, depuis la fermeture de la criée en 2020, « une catastrophe » selon Pauline, le nombre de pêcheurs dans le Dunkerquois n’a fait que baisser, une conséquence terrible de la surexploitation des ressources halieutiques.
« Ils pêchent en un jour ce qu’on pêche en un an »
Les pratiques écocides sont légion dans les eaux de la Manche et de la mer du Nord, qui voient leurs écosystèmes ravagés et les populations de poissons diminuer à vue d’œil. « Ils pêchent en un jour ce qu’on pêche en un an », déplore Laurent qui cite « la pêche électrique » parmi les causes de la baisse des prises en mer du Nord. Cette pratique dangereuse et particulièrement destructrice, avait été interdite par l’Union européenne en 2021. Mais si cette mesure témoigne d’une volonté politique de protéger la biodiversité marine, d’autres pratiques perdurent, et parmi elles le chalutage de fond. Technique consistant à déployer un large filet dans les fonds marins et à le tracter de sorte à capturer le plus de poissons possible. Ce procédé a pour conséquence, en plus de vider les eaux de leurs poissons, de détériorer les écosystèmes locaux, notamment en détruisant la flore marine essentielle à l’alimentation des espèces présentes. L’ONG Bloom affirmait en mars dernier qu’un chalutier pouvait pêcher jusqu’à 400 tonnes de poisson par jour. Une quantité massive qui touche des populations juvéniles de poissons, essentielles à la régénération des espèces.
Le double jeu des pouvoirs publics
Face à cet enjeu, l’État affiche une certaine forme d’hypocrisie, comme le montraient nos confrères du média Reporterre le 10 janvier dernier. D’un côté, le discours officiel affirme prendre en compte à la fois la « protection des ressources » et le « contexte socio-économique », comme en témoigne un communiqué de presse de l’ex-ministre délégué chargé de la mer et de la pêche, Fabrice Loher, publié en décembre 2024. Le président de la République Emmanuel Macron a même déclaré lors de ses vœux à la nation que 2025 serait « l’année de la mer » et disait début janvier vouloir créer un « GIEC des océans ». Pourtant, derrière les effets d’annonces et les éléments de communication, la réalité est tout autre. Toujours selon Reporterre, seul 0,1 % de l’espace marin de la métropole est protégé tandis que l’État revendique 30 % de l’espace maritime français concerné par les aires marines protégées (AMP). Une situation qui exaspère les pêcheurs qui ne manquent pas d’idées pour combattre cette érosion du secteur de la pêche artisanale. « On devrait interdire certaines zones de pêche et réglementer les tailles des bateaux » affirme Laurent qui se dit confiant lorsqu’on lui demande si son métier est menacé. « Ça dépend » conclut-il, renvoyant la balle à l’État et à l’Union européenne.
On le constate donc, la situation de la pêche artisanale, à Dunkerque comme ailleurs en France, démontre la convergence des questions sociales et environnementales, toutes deux intimement liées.